‘L’État d’Israël versus l’impérialisme occidental’ (Scandre HACHEM)

‘L’État d’Israël versus l’impérialisme occidental’ (Scandre HACHEM)

Le président américain Joe Biden (3e à gauche), le Premier ministre Benjamin Netanyahu (3e à droite) et le secrétaire d'État américain Antony Blinken (2e à gauche) se rencontrent à Tel Aviv, en Israël, le 18 octobre 2023. Anadolu Agency/ Getty Images.

La création de l’État d’Israël a été le fruit d’un projet conçu et mis en œuvre par la Perfide Albion dans la dernière partie de la première moitié du 19ème siècle, soit plus de cinquante ans avant le premier congrès sioniste mondial en 1897*. Il a fallu un demi-siècle d’activités soutenues pour que ce projet commence à prendre forme, avec quelques étapes manquantes, le Congrès sioniste cité plus haut, la Déclaration Balfour pendant la Première Guerre mondiale, l’holocauste nazi au cours de la seconde notamment. L’objectif était la création d’un État européen sous contrôle britannique pour s’y enraciner structurellement et y porter le fer et la domination pérenne dans le Proche et Moyen-Orient. Il a fallu un demi-siècle d’activités pour soutenues et multidimensionnelles pour que ce projet commence à prendre forme, avec quelques étapes manquantes, le Congrès sioniste cité plus haut, la Déclaration Balfour pendant la Première Guerre mondiale, l’holocauste nazi au cours de la Seconde Guerre mondiale notamment (voir en note mon article « L’État d’Israël contre le peuple juif »)*. L’aboutissement de ce projet au succès écrasant a eu des conséquences au-delà des espérances et résultats attendus. Depuis plus d’un siècle, et en particulier à partir de la création de l’État d’Israël en 1948, la région proche et moyen-orientale vit sous une déstabilisation systémique intensive rythmée d’une part par des guerres israélo-arabes, avec ou non un engagement de pays arabes selon différents niveaux ou formes, mais aussi entre ces pays eux-mêmes, d’autre part un engagement toujours affirmé des pays occidentaux par des interventions de différents niveaux jusqu’à susciter qui des coups d’État militaires et/ou institutionnels, qui des crises et autres fragilités économiques et sociales, le tout enrayant ou sapant les efforts de de développement de l’éducation, de la culture, des sciences et des techniques…. Des pays arabes.

Les premiers dirigeants et colons sionistes, tous originaires d’Europe centrale et surtout orientale, se sont naturellement identifiés tout au long de ce processus à l’éclosion de la ferveur coloniale civilisatrice qui a marqué l’Europe au cours de cette période. Ils s’y représentaient comme le Juif nouveau dans la même perception que ce que représentait l’Européen nouveau en regard. Dès lors s’est incrustée une imbrication intrinsèque, malgré quelques confrontations liées à des enjeux circonstanciels, entre les intérêts sionistes puis israéliens et ceux de l’Europe coloniale en général et de l’Empire britannique en particulier, secondée puis remplacée par le suprématisme états-unien. Cette imbrication, s’illustre a contrario, s’exprime et s’imprime jusque dans le soutien massif de la jeunesse européenne, en soulèvement contre ses classes dominantes, au peuple palestinien sous le joug colonial de l’État d’Israël au même titre que ce soutien massif s’exprimait dans la même lancée pour les peuples coloniaux en Afrique et en Asie sous domination européenne et en Amérique du Sud sous la botte des militaires locaux et des États-Unis.

Cette identification d’intérêts stratégiques entre l’État d’Israël et le suprématisme occidental va pourtant progressivement trouver ses limites. Centré sur la déstabilisation systémique du Proche et Moyen-Orient qu’il partage avec l’impérialisme occidental et en particulier états-unien, Israël a cherché à développer sa sécurité intérieure en s’appuyant sur son appareil sécuritaire et militaire l’un des plus ramifié et dense du monde, appareil militaire constitué par les appelés et engagés, les réservistes qui se comptent par centaines de milliers, les colons dont plusieurs centaines de milliers là aussi, armés, aguerris, organisés, provocateurs et offensifs contre les Palestiniens. C’est dire au passage que les « civils » israéliens n’ont rien à voir, en règle générale, avec ce la réalité du civil en Europe et même au niveau mondial. À l’échelle de la France, cela équivaudrait à quelques plus de dix millions d’hommes et de femmes armé.e.s au service de l’État. Notons au passage l’une des raisons de la forte attractivité du système sécuritaire de l’État d’Israël pour les régimes dits « illibéraux » et/ou despotiques dans de nombreux pays, y compris en Europe. L’exercice de sa puissance, à force de sévir contre une population sous occupation et de vouloir s’exposer et se prouver dissuasive, agit avec une violence qui se nourrit d’elle-même et des réactions qu’elle sait pertinemment qu’elle suscitera nécessairement. Cela lui servira de terrain d’entraînement, de se perfectionner et de se maintenir en éveil. Mais cela nourrira sa violence toujours plus aveugle, brutale jusqu’à la nausée dans ses propres rangs. Convaincu d’avoir neutralisé les Palestiniens, d’y avoir développé la criminalité et implanté un réseau maffieux plus facile à contrôler, manipuler et mettre à son service, il ne trouve pourtant pas la paix ni la sécurité qu’il va alors rechercher auprès de régimes arabes qui vivent dans la peur des menaces déstabilisatrices intérieures d’une part et du manque de fiabilité ces dernières années du protecteur et maître états-unien d’autre part. Cette double problématique lui permettra, pense-t-il, d’évacuer cette fois le problème palestinien et l’accompagner, à l’abri de l’attention des opinions publiques occidentales de plus en plus sous contrôle, vers l’oubli et la mort lente. Que nenni. La Palestine existe depuis des millénaires comme l’attestent l’Ancien Testament lui-même et les écrits les plus anciens. Elle a porté en son sein différents groupes, tribus, familles, et accueilli différentes religions, dont le judaïsme, puis le christianisme et enfin l’islam. Elle a subi bien des jougs, dont il reste dans la mémoire les Hébreux se proclamant venus d’Égypte, les armées et groupes ethniques de l’Empire romain, les tribus et peuples venus d’Arabie, nombre d’européens et leurs croisades, l’Empire ottoman, celui de Sa Majesté britannique et Perfide Albion, et enfin les sionistes. Elle a subi des jougs, mais s’est aussi enrichie de toutes ces civilisations, faisant coexister ces populations cosmopolites, mais aussi les mélangeant et les métissant. Elle s’est vivifiée et enrichie de tous ces apports malgré toutes sortes de confrontations de différents niveaux. Le peuple issu de ce lent et long processus n’a pourtant jamais accepté de mourir ni de disparaître sous quelque forme que ce soit. Il a plié quelquefois ou souvent, mais n’a jamais rompu et est toujours resté debout.

Bien qu’il ait été et reste encore une fabrication coloniale, les sionistes, venus essentiellement dans toute cette première période d’Europe, se sont constitués en peuple intégrant des juifs venus, selon les circonstances, de différentes autres régions du monde, donnant naissance à une nation organisée en État. Même s’il s’aveugle à se maintenir dans cet esprit et cette pratique à travers les colonies qu’il implante dans les territoires qui subsistent de la Palestine historique suite au partage décidé par l’ONU, arc bouté dans sa conviction complotiste que le peuple palestinien n’existe pas selon son slogan constitutif « d’une terre sans peuple », et que c’est un complot qui le maintient dans une existence artificielle, Israël existe aujourd’hui et est organisé en État, peuple et nation. Des millions d’Israéliens y vivent depuis des décennies, y sont nés et continuent d’y naître, d’y mourir et d’y être enterrés. Ils ont acquis le droit inaliénable d’y rester et d’y vivre en paix et sécurité en tant que peuple et nation disposant d’un État. À moins de se prendre pour des extraterrestres ou alors de cultiver un besoin irrépressible de relations sado -masochistes, nourrissant une relation de haine et de violence avec le peuple autochtone qu’ils ont trouvé sur cette terre et qu’ils prétendent chasser et faire disparaître comme de intrus, la violence appelant la violence, toujours plus forte, toujours plus douloureuse, allant jusqu’à en jouir quand on la porte contre l’autre, en souffrir jusqu’à la jouissance morbide quand on la subit, ce dont il y aurait fort à douter -des dirigeants politiques comme une partie d’un peuple peuvent porter ce genre d’ivresse et/ou de délire, y emporter durant une période l’adhésion d’une très forte majorité- cela ne peut durer et se perpétuer sinon qu’en finissant par s’enfermer dans une dynamique vers un « suicide collectif » ou vers d’autres voies tout aussi dramatiques.

Il commence largement à disparaître le temps où quelques milliers de soldats portés par une nation conquérante pouvaient réduire des populations par millions, dizaines et centaines. Il est révolu le temps où certains pouvaient prétendre « soumettre tout un pays avec cinq cents soldats ». Les uns après les autres, les pays sous joug colonial se sont émancipés, acquièrent d’année en année des moyens supplémentaires, économiques, scientifiques et technologiques, politiques et culturels pour s’affirmer face à leurs anciens maîtres et leur tenir aujourd’hui la dragée haute. Il est révolu le temps où une nation pouvait imposer un rapport de pouvoir et de coercition puissance multiple. Le peuple palestinien ne vit pas hors sol, à l’abri de cette nouvelle tectonique des plaques, née dans les années cinquante, formalisé à Bandung et a ouvert le long et irrépressible processus du basculement des mondes. Bien au contraire, il en est le symbole paroxystique et explosif, enserré dans une camisole de force confectionnée et entretenue par la coalition des anciens maîtres du monde et qui tiennent à le rester à l’affirmer dans ce dernier lambeau de leur ancienne et si illustre gloire. À moins qu’il n’entende rester droit dans ses bottes « aux avant-postes de la civilisation contre la barbarie » comme le stipule la Charte du sionisme, statut qu’il entend comme jamais incarner et qui le place en laboratoire et soutien actif de l’extrême-droitisation en Europe et aux États-Unis dont il est devenu le principal chef de file (le ralliement des principaux leaders d’extrême droite en Europe et leurs voyages en Israël pour faire allégeance n’est ni de façade ni circonstanciel, mais bien l’expression d’une adhésion idéologique et la reconnaissance d’un leadership), et être le rempart ultime du suprématisme occidental et états-unien en particulier en état de putréfaction avancée.

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Il serait temps que les Israéliens comprennent que non seulement ce temps est révolu, mais aussi que leurs intérêts stratégiques existentiels sont devenus divergents de ceux du projet colonial qui leur a permis de naître, se construire et se consolider. Autant la domination du monde par le suprématisme européen puis états-unien exige la déstabilisation systémique des dominés, autant la paix et la sécurité d’un pays, quel qu’il soit et où qu’il soit, exige que ceux qui y habitent soient en paix d’abord avec ceux avec lesquels ils ont la même terre en partage, avec eux-mêmes et entre eux, pour pouvoir l’être avec leurs voisins immédiats. Il serait temps et urgent, dans cette logique, que paix et sécurité soient comprises au contraire intrinsèquement liées entre les un et les autres, donc conditionnées pour Israël par la reconnaissance et l’exercice effectif et entier, par les Palestiniens, de leurs nationaux tout aussi légitimes que les leurs.

Croire qu’il pourrait contourner la question des droits nationaux du peuple palestinien en faisant la paix avec les pétromonarchies du Golfe, en profiter en même temps pour mettre la main sur une partie importante de leurs immenses fortunes, c’est se lancer dans une fuite en avant toujours plus meurtrière et porteuse de tragédies récurrentes, mais à l’issue qui commence à s’avérer de plus en plus incertaine.

Il n’est qu’à voir la haine dévastatrice et massive avec laquelle Israël répond à la défaite cinglante subie avec l’opération « Déluge d’al-Aqsa », y trouvant de plus l’opportunité d’un nouveau nettoyage ethnique à Gaza, parmi les meurtriers des temps modernes après la Shoah, selon un plan élaboré depuis 2014 par le vice-président de la Knesset et adopté par les plus hautes instances du gouvernement.

II n’est qu’à voir la furie morbide avec laquelle les suprématistes occidentaux de tous bords, dans toutes les sphères de pouvoirs et d’influence, se mobilisent, condamnent, répriment et cherchent à isoler jusqu’à tout soutien à la résistance palestinienne, le démoniser et mettre au ban celles et ceux qui le mettent en œuvre tant l’État d’Israël leur apparaît de fait, consciemment ou inconsciemment, comme l’un des derniers remparts, le plus symbolique en tout état de cause, pour conjurer le basculement des mondes en cours. Cela après avoir réussi, à travers tous leurs moyens de communication et tous les pouvoirs de persuasion et de coercition, à transformer le conflit israélo-arabe ayant pour centre névralgique la Palestine en un conflit israélo-palestinien pour enfin le présenter, suprême abjection d’un suprématisme en putréfaction, en un conflit d’autodéfense légitime de l’État d’Israël contre le terrorisme.

Scandre HACHEM

Fin observateur de l’actualité nationale et internationale tout en gardant ses idéaux de jeunesse, Scandre HACHEM fut Directeur de bibliothèques en France.

Note :

L’État d’Israël contre le peuple juif, publié en trois parties dans Libnanews les 12, 14 et 17 janvier 2019

Clause de non-responsabilité : les points de vue exprimés par l'auteur ne reflètent pas nécessairement les opinions, les points de vue et la ligne éditoriale de Pulse Sénégal.

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