Diass et son « patrimoine » foncier: une proie sans défense [Opinion]

D’emblée, précisons ceci : nous n’avons aucune intention de réclamer un droit de sang ni de propriété exclusive sur les terres de Diass.

Diass - Dakar

On sait bien que les terres, partout où elles se situent sur le territoire sénégalais, appartiennent à l’Etat et aux citoyens sénégalais. Nous savons également bien que, de par sa position stratégique (située à l’intérieur du triangle Dakar, Mbour, Thiès), la commune de Diass attire naturellement les convoitises légitimes de plusieurs sénégalais, lesquels ont le droit de s’y installer ou d’y installer des projets économiques. Ils sont, d’ailleurs, les bienvenus chez nous.

Mais, il est hors de question pour nous d’accepter qu’on nous déshabille pour habiller qui que ce soit. Car à Diass, nous sommes aussi des citoyens. A Diass nous faisons partie de l’Etat. Et à Diass la jeunesse a besoin de terres. Personne d’autre n’a plus de droit sur les terres de Diass que la jeunesse de Diass, même pas les multinationales et autres promoteurs ou citoyens « de première classe » à qui le Président Sall vient d’attribuer plus de 2 000 hectares sur l’assiette foncière du pôle Daga-Kholpa, pourtant objet de plusieurs contestations populaires. Quel mépris !

Symbole du cynisme du pouvoir, Diass et sa jeunesse souffrent d’un mépris historique.

La jeunesse de Diass est désabusée, elle désespère d’avoir un espace où habiter dans un futur proche. Et pendant que les jeunes de Diass vivent l’angoisse de devenir étrangers chez eux, des multinationales connues pour leur cynisme, des promoteurs fonciers véreux et des citoyens de « première classe », s’accaparent, avec l’aide de l’Etat, le peu d’espace restant dans la réserve foncière de la commune, parfois sous prétexte fallacieux d’investissement d’utilité publique. Frustrant !

Pourtant des jeunes de Diass ont des projets agricoles mais n’ont pas de terre pour les réaliser, les jeunes de Diass ont besoin de stade mais n’ont pas d’espace où le bâtir, ces jeunes ont besoin d’établissements scolaires mais il n’y a pas d’espace suffisant, les villages de Diass ont besoin de zone d’extension mais n’entrevoient aucune perspective positive.

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Sans débattre des problématiques relatives au lien affectif avec son terroir, le sentiment d’appartenance ou encore l’attachement aux origines, parlons un peu de l’argument qu’on nous sert souvent, et de manière pompeuse, pour justifier l’accaparement et l’expropriation : la fameuse notion de « projet d’utilité publique ». Mon œil !

A Diass plusieurs milliers d’hectares ont servi à installer des entreprises. Mais qu’apportent ces projets à la commune et aux communes voisines ? Beaucoup de frustrations et peu d’impacts positifs.

C’est l’exemple de l’AIBD (plus de 4000 hectares) dont les eaux ruisselantes se jettent directement sur le quartier de Sakirak et se déversent par la suite dans les autres quartiers et villages de la commune. Les nombreuses interpellations des populations n’ont pas eu raison du mépris des autorités de l’AIBD et de leurs promesses non tenues. Malgré une forte emprise sur l’assiette foncière de Diass, l’AIBD pose aujourd’hui la problématique de son expansion au point de pousser certains villages à craindre d’être déplacés au moment où le Président Sall vient d’attribuer plus de 175 hectares du patrimoine foncier de Diass aux impactés de la cité Namora et au projet de recasement des villages de Ngor-Ouakam-Yoff sans oublier les 700 hectares réservés à la Zone Économique Spéciale, les 100 hectares pour le projet des gros-porteurs et les 4000 hectares spécialement réservés par l’Etat pour je ne sais quoi. Du jamais vu !

Le village de Kirène, devenu populaire grâce à la qualité de son eau qu’exploite l’Usine SIAGRO Kirène, est quotidiennement vidée, depuis plus de 20 ans, de sa ressource en eau avec environ 10.000 litres d’eau extraits, chaque heure, de son sol pendant que les populations peinent à couvrir convenablement leurs besoins en eau potable du fait des nombreuses ruptures dans l’approvisionnement en liquide précieux.

Ce même village abrite un autre fleuron de l’Industrie sénégalaise à savoir les Ciments du Sahel, déjà attributaire de plusieurs centaines d’hectares et dont l’acquisition de plus 200 hectares supplémentaires dans la forêt classée de Bandia, avait provoqué un soulèvement populaire. Cette usine exploite quotidiennement, par le biais de ses carrières basées dans plusieurs villages de la commune, les réserves locales de calcaire depuis 20 ans. J’interpelle, d’ailleurs, les spécialistes de l’environnement pour nous éclairer sur les conséquences potentiellement dramatiques de cette agression environnementale, laquelle ne s’accompagne d’aucune compensation équitable.

Nous reconnaissons, néanmoins, que les entreprises telles que Kirène et les Ciments du Sahel, comptent quelques réalisations dans la commune (notamment dans les domaines de l’éducation, la santé et l’hydraulique), mais ces efforts de compensation sont largement insignifiants compte tenu des nombreux dommages au plan social, économique et environnemental qui leur sont imputables. En réalité, leur politique RSE peine à convaincre.

Le pire est que rares sont les jeunes de la commune de Diass qui travaillent dans les entreprises précédemment citées. Les rares jeunes qu’elles emploient ont des contrats précaires ou occupent souvent des postes subalternes pendant que les compétences de toutes sortes sommeillent dans la commune ou s’obligent à migrer vers Dakar ou ailleurs. Cynique !

Aujourd’hui, la seule entreprise qui peut se targuer d’avoir fait des efforts significatifs en matière de création d’emplois locaux c’est Van Oers, une entreprise étrangère spécialisée dans la production et l’exploitation de produits maraîchers. Néanmoins, cette entreprise a acquis près d’un millier d’hectares entre Bandia et Kirène dans des conditions d’une nébuleuse catastrophique. De plus, à Van Oers, les emplois locaux sont le plus souvent saisonniers sans oublier les conditions misérables dans lesquelles travaillent des jeunes, femmes et même personnes âgées.

Pendant que le Président Sall poursuit, à la suite de son prédécesseur, le projet de balkanisation de Diass, ses opposants, pourtant très prompts à critiquer légitimement sa gestion foncière, semblent se désintéresser du cas de Diass : l’une des communes les plus pillées du Sénégal, fief des litiges fonciers les plus incompréhensibles et des agressions étatiques les plus humiliantes. Sommes-nous laissés à nous-mêmes ?

Mais à ces derniers, on ne saurait reprocher grand-chose car nos propres parents, autorités municipales et hommes politiques proches du pouvoir et qui se disputent même la Mairie, n’osent prendre position en faveur des populations. Peut-être qu’ils sont préoccupés à espérer ou à préserver leurs postes stratégiques dans le gouvernement et ses ramifications.

Et pour fuir leur responsabilité devant l’histoire, ils se jettent, munis de leurs manteaux de lâches et rongés par leur culpabilité grotesque, dans un jeu malsain de manipulations et d’accusations mutuelles en élaguant le vrai problème. Pathétique !

Encore pire ; pendant que les jeunes de Diass, désabusés par l’Etat et nos lâches de politiciens locaux, essayent d’organiser la riposte au moins pour interpeller l’opinion publique, les forces de l’ordre les agressent, pillent leurs maisons, battent les femmes et sèment la pagaille dans les villages et quartiers. Humiliant !

Le seul tort de ces jeunes est d’être nés et d’habiter dans une commune de 19 villages, devenue la proie de prédateurs fonciers trop puissants. Leur seul tort est de réclamer qu’on leur laisse l’arrière-cour des quartiers et villages comme zone d’extension. Leur seul tort est de vouloir rester chez eux. Leur seul tort est d’avoir des politiciens lâches.

Dans ce cas, ont-ils vraiment tort de lutter contre l’injustice ? Doivent-ils subir toutes ces représailles et toutes ces agressions à la fois physiques et symboliques ?

Faites-nous savoir si tel est le cas.

Dr Ismaïla Bour SENE

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