Corruption de la jeunesse : quand Socrate était condamné pour le même délit que Sonko

Ousmane Sonko, candidat déclaré à l'élection présidentielle de 2024, a été condamné le jeudi 1er juin 2023 par une chambre criminelle de Dakar à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse ». Par la même occasion, il a été acquitté des faits de viol et de menaces de mort. Il devra également s'acquitter d'une amende de 600 000 F CFA. Néanmoins, avant Ousmane Sonko, la « corruption de la jeunesse » avait été brandie contre un éminent philosophe : Socrate. Retour sur un délit qui comporte encore quelques zones d'ombre.

Ousmane Sonko et Socrate
  • Que dit le Code pénal sénégalais ?

Au Sénégal, la « corruption de la jeunesse » est prévue par le Code pénal :

« Sera puni aux peines prévues au présent article, quiconque aura attenté aux mœurs en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse de l’un ou l’autre sexe au-dessous de l’âge de vingt et un ans, ou, même occasionnellement, des mineurs de seize ans », prévoit-on dans le dernier alinéa de l’article 324 dudit code.

  • La condamnation de Socrate

Dans les annales de l'histoire de la philosophie, peu de noms résonnent aussi fortement que celui de Socrate, le philosophe grec de l'Antiquité connu pour sa quête incessante de la vérité et sa méthode socratique de questionnement. Cependant, malgré sa renommée intellectuelle, le philosophe a dû faire face à une grave accusation de la part de Mélétos, un éminent politicien athénien, qui l'accusait de « corrompre la jeunesse ».

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  • L'accusation

L'accusation de Mélétos découle de sa conviction que les enseignements et les discussions de Socrate exercent une influence négative sur la jeune génération d'Athènes. Il prétend que Socrate propage l'athéisme, remet en question les valeurs morales traditionnelles et sape l'autorité de l'État. Mélétos accusait Socrate « d'empoisonner l'esprit » des jeunes Athéniens, de les détourner de leurs devoirs civiques et de provoquer un déclin des valeurs de la société.

  • La philosophie socratique

Pour comprendre l'accusation portée contre Socrate, il est essentiel de se plonger dans son approche philosophique. Socrate pensait que la connaissance ne pouvait être acquise que par le questionnement, le raisonnement et la pensée critique. Il dialoguait constamment avec les citoyens athéniens, remettant en cause leurs croyances et les encourageant à remettre en question leurs propres hypothèses. L'objectif premier de Socrate était de rechercher la vérité et la sagesse, et il mettait souvent en évidence les contradictions et les faussetés des idées largement acceptées.

  • Socrate et les jeunes

Les interactions de Socrate avec les jeunes d'Athènes constituent un aspect central de l'accusation de Mélétos. Socrate a eu une grande influence sur la jeune génération, attirant un groupe d'étudiants dévoués, inspirés par sa rigueur intellectuelle et son engagement dans la recherche de la connaissance. Cependant, cette association étroite avec des esprits impressionnables a suscité des inquiétudes chez certains Athéniens influents.

Ses détracteurs estimaient que le questionnement incessant et le scepticisme de Socrate portaient atteinte aux valeurs morales et religieuses traditionnelles sur lesquelles reposait la société athénienne. Ils craignaient que cette approche philosophique n'égare les jeunes, les encourageant à remettre en question les normes de la société et risquant de perturber l'ordre social existant.

  • La défense de Socrate

Lorsque Socrate s'est présenté devant le tribunal athénien pour se défendre contre les accusations de Mélétos, il a démontré son engagement inébranlable en faveur de la vérité et de la recherche de la connaissance. Socrate a nié avec véhémence avoir corrompu la jeunesse, arguant que son but était d'éveiller l'esprit critique, l'examen de conscience et l'introspection morale chez ses disciples. Il soutenait que ses dialogues visaient à dénoncer l'ignorance et à favoriser la croissance intellectuelle, plutôt qu'à promouvoir la rébellion ou la subversion.

  • Héritage et influence

Malgré une défense convaincante, Socrate est finalement reconnu coupable et condamné à mort en buvant de la cigüe, un poison. Son martyre a cimenté son statut de figure philosophique la plus vénérée de l'histoire occidentale. L'accusation et l'exécution de Socrate ont suscité de vastes débats philosophiques sur la liberté d'expression.

L'accusation de corruption de la jeunesse portée contre Socrate reste un épisode de l'histoire de la philosophie qui donne à réfléchir. L'héritage de Socrate nous rappelle le pouvoir de la pensée critique, l'importance du discours intellectuel et la quête permanente de la sagesse face à l'adversité.

  • Quid de Ousmane Sonko ?

La « corruption de la jeunesse » qui vise Ousmane Sonko constitue un délit qui consiste à débaucher ou à favoriser la débauche d'un jeune de moins de 21 ans. La plaignante, Adji Sarr, avait moins de 21 ans au moment des faits (viols et menaces de mort présumés).

Si Ousmane Sonko avait été condamné par contumace pour un crime tel que le viol, il aurait été déchu de ses droits électoraux. La requalification des faits en délit semble, toutefois, au regard du code électoral, maintenir la menace d'inéligibilité qui pèse sur lui.

Enfin, une question fondamentale se pose : les avocats d'Ousmane Sonko ou les circonstances politico-sociales parviendront-ils à épargner à leur client le même sort qu'à Socrate ?

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