Sénégal : Un opposant immobilisé, un président mobile, une démocratie boiteuse

Chronique | Un simple procès pour diffamation, une débauche d’énergie, une mobilisation monstre des forces de défense et de sécurité (Fds), le domicile d'Ousmane Sonko encerclé ce qui entraîne de facto une résidence surveillée.

Un barrage policier installé dans la rue où est domicilié l'opposant Ousmane Sonko la veille de son procès contre Mame Mbaye Niang, le 14 mars 2023.

Des grabuges le jour de la convocation, des défiances, une arrestation musclée de l’opposant « déposé » de force au tribunal. Il ne sortira pas indemne du procès renvoyé au 30 mars 2023. Il a été encore « déposé » chez lui avant d’être hospitalisé. Son avocat dans la même situation a dû quitter le Sénégal pour la France pour des soins. Triste atmosphère. L’opposant numéro 1 immobile, le président lui fait une balade sur la Corniche et achète du coco.

Si la vidéo de la promenade est actuelle, il est difficile de comprendre le message qu'il veut envoyer sur le plan de la communication. Le chef de l’État veut-il montrer qu'il est à l'aise au moment où son opposant principal est à l'hôpital après avoir été brutalisé ? Veut-il dire que lui peut tranquillement circuler et passer là où il veut sans aucune contrainte ? C’est d’ailleurs la première réaction après la colère, des manifestations violentes et les casses. Une situation explosive qui ne mérite pas une réaction officielle si l’on observe l’attitude des tenants du pouvoir. Pourtant, l’heure est extrêmement grave, les faits graves, les actes gravissimes. En février-mars 2021, les manifestations notées partout dans le pays avaient fait d’énormes dégâts. Le président avait dit qu’il avait compris cette jeunesse désœuvrée et prête à tout.

En mars 2023, les mêmes scènes sont observées dans bien des quartiers de Dakar et à l’intérieur du pays. Des bus ont été saccagés, des commerces pillés, des victimes, l’histoire s’est répétée contrairement à l’engagement du pouvoir, du président et beaucoup d’autorités qui étaient convaincus que cela ne se reproduirait jamais. Aujourd’hui, ils se rendent compte que la plus grande armée du monde est incapable d’arrêter une mer qui gronde et déborde. La solution doit être pédagogique avec une bonne démarche communicationnelle, des perspectives claires, une absence de démagogie, de la sérénité. Les arguments physiques, le déploiement des forces de sécurité ne font qu’étaler un échec et raviver la tension rendue plus vive par une troisième candidature source de tous les dangers.

Mauvaises nouvelles et surplace

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Terribles nouvelles, dans un pays jadis considéré comme une fable démocratique. Nous sommes à moins de dix mois d'une élection présidentielle, les incertitudes s'amoncellent, la tension va crescendo. Le président de la République l’a voulu ainsi. « En principe » à son « second et dernier mandat », comme il l'avait lui-même souligné dans son livre « Le Sénégal au chœur », il continue à entretenir ce flou artistique rend illisible sa démarche et jette de l'ombre dans un espace politique bouillonnant. Hier, c’était le 19 mars qui marque l’an 23 de la première alternance au Sénégal, le 25 mars sera l’anniversaire de la deuxième, sa sœur cadette.

Les coups de gueule et les manifestations illustrent un mal-être qui dépasse Sonko et ses ennuis judiciaires. Si les manifestations ont été aussi bruyantes, aussi massives, c'est que les populations sont en proie à des difficultés économico-sociales réelles. Nous sommes toujours en plein dans le "surplace". Des événements qui rappellent le discours de Kéba Mbaye. En des termes clairs, le juge constitutionnel s’adressant au président Diouf martelait : « les Sénégalais sont fatigués ».

Et conseillait-il : « c’est le devoir de tous les Sénégalais de faire preuve de maturité, de garder notre pays de l’avant et d’assurer son développement harmonieux. Cela ne peut être l’affaire d’un seul homme ou même l’affaire d’un seul parti ». C'était en 1981.19 ans après, presque les mêmes mots ont été tenus devant Abdoulaye Wade, le nouvel élu en 2000 par le président du Conseil constitutionnel d'alors Youssoupha Ndiaye : « les Sénégalais veulent cesser d’être de courageux affamés d’espoir. Ils souhaitent vivre dans la cohésion, la solidarité et la fraternité, dans le respect des valeurs de progrès et dans la primauté ».

Douze ans après, le président du Conseil constitutionnel, Cheikh Tidiane Diakhaté lance solennellement au tombeur de Wade : « Il y a tant de frustrations, tant de souffrances, et parfois aussi tant de désespoir dans nos sociétés que l’urgence s’est pratiquement installée partout ».

Macky Sall a été certes réélu au premier tour avec plus de 58 % des voix en 2019, mais le mal demeure. "Les Sénégalais sont conscients qu'ils entrent dans une nouvelle ère. Ils l'appréhendent autant qu'ils l'espèrent, car ils savent qu'elle sera, en fonction de ce que nous en ferons, une bénédiction ou une malédiction. L'expérience, c'est en effet ce qu'on fait de ses propres erreurs, mais c'est aussi les leçons que l'on tire des erreurs des autres", dixit Pape Oumar Sakho réinstallant Macky.

Les choses ont très peu bougé. Et les jeunes en arrivent à un engagement suicidaire : "ku dee sa yaay juraat" (les mamans de ceux qui vont mourir au combat vont encore enfanter). Comble d'un désespoir qui va balayer tout sur son passage !

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