Arrestations et emprisonnements : le calvaire des médecins sénégalais

Au moins 1,16 million de nouveau-nés meurent chaque année en Afrique. Le Sénégal n’est pas épargné par ce constat macabre où l’on note de plus en plus une sorte de résignation, voire de fatalité face à la mortalité maternelle et néonatale. Compte tenu de cette situation, la machine judiciaire est de plus en plus sollicitée, mais elle doit faire face à de nombreux obstacles.

Médecin en prison (image d'illustration)

L’année 2022 a été marquée par ce que l’on pourrait qualifier de « ratés médicaux ». En août dernier, la justice avait procédé à l’arrestation de médecins mis en cause à la suite de la mort en couches d’une patiente et de son enfant à Kédougou. Baye Thiam, le procureur de Kédougou, avait dénoncé « une forte négligence médicale ainsi qu’un manquement manifeste aux règles élémentaires de la médecine ». Dans la foulée, le maitre des poursuites avait instruit le commandant de la gendarmerie à interpeller le personnel médical en question.

Ces derniers mois, des affaires similaires sont devenues monnaies courantes au Sénégal.

En avril 2022, un cas similaire avait été signalé dans la région de Louga. Une patiente était décédée en couches. Les trois sages-femmes mises en cause avaient finalement été condamnées à six mois de prison avec sursis pour non-assistance à personne en danger.

On voit donc que face à ces incidents, les mis en cause sont systématiquement placés en garde à vue. Dans un État de droit, ces mesures contribuent naturellement à apaiser les tensions. Elles présentent toutefois quelques limites.

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Cette situation entraine le recours tardif aux soins, posant ainsi au moins deux difficultés majeures pour les professionnels de la santé. D’après The Conversation, la première renvoie au temps mis dans l’étape du guérisseur ainsi que la médication y afférente (accouchement à voie basse pour recouvrir sa féminité) qui peut compliquer davantage la situation du patient.

La seconde renvoie à une appréciation négative du système de santé et de ses acteurs à partir d’une grille qui met l’univers du guérisseur au centre du dispositif. À la convivialité du guérisseur et à son humanisme, on oppose l’insensibilité et l’indifférence du soignant.

« L’hôpital et ses employés sont donc quelquefois confrontés à la gestion d’urgences obstétricales auxquelles ils ne sont pas toujours préparés à faire face, dans un contexte de déficit des moyens médicaux mis à leur disposition. Dans le même temps, la demande de santé néonatale et obstétricale s’accroît tandis que les capacités d’accueil sont menacées par un sentiment d’insécurité des professionnels de santé », indique la même source.

Les incarcérations des professionnels de santé créent un sentiment de détresse psychologique auprès de leurs collègues qui se sentent délaissés et non protégés.

« Nous sommes désemparés. Certains de nos collègues craignent de toucher les malades. Vous savez : une intervention peut bien se passer et subitement le malade décède par suite de crise cardiaque. Ça peut arriver. Mais même dans ces cas de figure, nous ne sommes pas protégés. Maintenant, on cherche systématiquement à nous imputer la faute. Ce n’est pas encourageant ! », confie une femme médecin de 46 ans avec 14 ans d'expérience.

Les soignants craignent de perdre leur emploi, d’aller prison ou d’entrer en conflit avec la société. Ils craignent d’être sacrifiés sur l'autel d’agendas de familles des victimes, de l’État et des associations de la société civile.

Les professionnels de santé explorent de plus en plus la piste menant à l’étranger. Cette fuite des compétences est un moyen de se soustraire de cette épée de Damoclès judiciaire.

C'est le cas de ce gynécologue de 39 ans avec 6 ans d'expérience cité par The Conversation.

« J’ai fait tout mon cursus au Sénégal. Ma seule passion était de servir mon pays, de sauver des vies. Mais actuellement, il y a une rupture de confiance. J’ai une famille qui dépend de moi. Je ne peux pas risquer de perdre mon travail et d’être en prison dans l’exercice de mes fonctions. Je préfère aller monnayer mes compétences ailleurs. Pour le moment, je cherche. Je démissionne dès que je trouve une offre, même à l’étranger », déclare-t-il. 

Pour sortir de cette crise, les sociologues et anthropologues, Abdoulaye Moussa Diallo, Djiby Diakhaté et Tidiane Ndoye, proposent de « mettre en place un mécanisme de compensation et d’arbitrage intra professionnel afin de réconcilier les professionnels de santé avec les populations. Il s’agira de dépersonnaliser les relations de soins en améliorant l’offre à travers le renforcement de la formation, la dotation en infrastructures et en équipements, le respect de la vie humaine, l’évitement des négligences diverses, etc. ».

Ils recommandent également « la non-utilisation de la justice pour calmer la colère populaire lorsque les usagers des services de santé se sentent lésés. Il s’agit plus de dépassionner le débat pour que la justice soit une garantie pour ces derniers quant à la protection de leur droit à la santé et à des soins de qualité (…) ».

Ces experts préconisent enfin « d’envisager de faciliter l’accès des victimes à l’indemnisation, comme cela se fait dans d’autres pays ».

Pour rappel, en septembre dernier, le Syndicat autonome des médecins du Sénégal (SAMES) et l’Association des gynécologues et obstétriciens (ASGO) avaient entamé une grève nationale de 48 heures sur l’ensemble des structures sanitaires du Sénégal pour protester contre l’arrestation d’un gynécologue et deux de ses collaborateurs, notamment un anesthésiste et un infirmier à la suite de la mort en couches d’une patiente et de son enfant à Kédougou.

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