Surpêche en Gambie : les révélations d’un rapport d’Amnesty

Un rapport de l’ONG Amnesty International intitulé "Gambie. Le coût humain de la surpêche" dénonce le scandale de la pêche minotière, légale et illégale, au large des côtes gambiennes.

PECHE

Sanyang est un village de pêcheurs situé à une trentaine de kilomètres au sud de la capitale Banjul. Les touristes y viennent pour profiter de ses belles plages et de ses restaurants qui servent du poisson local.

Mais ce sont surtout les fonds marins à son large, avec quelque 500 espèces de poissons, qui attirent les convoitises de nombreux acteurs. La surexploitation de cette riche réserve de vie marine entraîne de graves conséquences sur les droits humains de la communauté locale, comme le confirme le dernier rapport d’Amnesty International sur ce pays.

La pêche est un secteur économique important pour la Gambie. En 2022, il contribuait à hauteur de 12 % du produit national brut et fournissait directement ou indirectement un emploi à 300.000 personnes, soit environ 11 % de la population.

La pêche s’est industrialisée. Les pêcheurs traditionnels de Sanyang ont vu arriver des bateaux étrangers en vertu d’accords conclus par la Gambie avec l’Union européenne et de nombreux pays comme le Sénégal ; des accords pas toujours transparents puisque certains d’entre eux ont été passés sans validation par l’Assemblée nationale.

Des bateaux étrangers viennent également puiser les ressources maritimes de manière illégale, sans permis, avec des filets aux mailles trop petites et/ou parfois dans les zones interdites.

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Les habitants de Sanyang ont également découvert un autre acteur de la pêche en 2018 avec l’installation d’une usine de farine et d’huile de poisson. Ces usines pullulent désormais sur la côte ouest africaine, en Gambie mais aussi dans d’autres pays comme la Mauritanie et le Sénégal. L’usine Nessim Fishing and Fish Processing Co.Ltd (Nessim) à Sanyang achète les poissons, principalement les sardinelles et bongas, à des pêcheurs souvent venus du Sénégal avec des bateaux plus grands que ceux des pêcheurs traditionnels gambiens.

Ces poissons sont transformés en farine destinée à nourrir des poissons d’élevage et des animaux de ferme ou en huile pour des compléments alimentaires. Les trois usines de ce type en Gambie exportent chaque année des milliers de tonnes de farine de poisson en Asie, en Amérique et en Europe.

La surpêche générée par tous ces acteurs, dont le produit est principalement destiné au marché extérieur, a des effets négatifs sur la situation économique locale et ainsi sur les moyens de subsistance des habitants de Sanyang.

D’après les témoignages recueillis, les pêcheurs traditionnels doivent sortir toujours plus loin et plus longtemps pour attraper de moins en moins de poissons. Leurs filets sont coupés par le passage des bateaux industriels qui s’approchent de la côte au mépris des lois qui le leur interdisent.

Les personnes qui sèchent les poissons, en majorité des femmes, ou qui les fument, ont vu le prix des poissons monter en flèche en raison de leur rareté. Cette inflation impacte aussi les restaurateurs. Au manque à gagner économique pour les habitants de Sanyang s’ajoute le risque d’insécurité alimentaire, le poisson étant leur source principale de protéine animale.

Les résidents de Sanyang mettent aussi en avant les conséquences environnementales de l’activité des acteurs de cette surpêche. En 2018, l’Agence nationale gambienne pour l’environnement a fermé pendant six mois l’usine Nessim pour défaut de mécanisme de traitement et de rejet des eaux usées.

Si l’usine a installé par la suite un système de traitement des déchets et des eaux usées et un tuyau de déchargement dans la mer, elle a été mise à l’amende à deux reprises en 2020 pour le traitement inadéquat de ses eaux usées. Par ailleurs, lorsqu’il arrive que Nessim n’achète pas la prise de pêche, les bateaux travaillant exclusivement avec l’usine déversent à la mer leur prise impropre à la consommation, jonchant les plages de poissons morts.

De nombreux résidents du village, en particulier les restaurateurs et hôteliers, se plaignent également de la fumée générée par l’activité de l’entreprise qui dissémine une odeur nauséabonde faisant fuir les clients.

Les femmes qui cultivent des jardins proches de Nessim dénoncent aussi cette fumée et constatent l’augmentation de nuisibles qui détériorent leur récolte depuis l’installation de cette usine. Des éléments également constatés par Amnesty International lors de ses missions à Sanyang. Un audit serait indispensable pour évaluer la potentielle toxicité de la fumée et les conséquences de l’activité de l’usine sur les cultures environnantes.

Conséquences sur les habitants et l’environnement

Enfin cette surpêche, si elle n’est pas traitée en urgence, risque d’entraîner une catastrophe écologique. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture en 2020, les sardinelles et bongas sont surexploités en Afrique de l’Ouest. Des espèces qui sont pourtant largement utilisées par les usines de farine et d’huile de poisson.

En effet, Il ne faut pas moins de 4.5 kg de ces poissons pour produire seulement 1kg de farine. Pire encore, pour contenter cette demande en poisson, certains pêcheurs n’hésitent plus à pêcher des poissons juvéniles, empêchant la reconstitution des réserves de l’océan et contribuant au problème de la pénurie de poissons.

Compte tenu de ce potentiel désastre, la Gambie doit davantage se préoccuper de la question de la surpêche, de son impact environnemental et de ses conséquences pour les habitants des villages côtiers.

Conformément à leurs obligations en vertu des traités internationaux et régionaux de protection des droits humains, les autorités doivent protéger les droits des individus au travail, à l’alimentation et à un environnement propre, sain et durable.

Pour se faire, le pays doit absolument investir de manière substantielle pour lutter efficacement contre la pêche illégale, y compris en dotant la marine de moyens adéquats pour contrôler les eaux gambiennes.

Les autorités doivent également réguler la pêche pour garantir un stock de poissons suffisant et répondre aux besoins de la population. Notamment, l’Etat doit s’assurer que les usines de farine et d’huile de poisson prennent les mesures nécessaires pour s’acquitter de leurs responsabilités en matière de respect des droits humains ou, à défaut, envisager leur fermeture. L’inaction ne peut être une option, car le coût humain et environnemental de la surpêche est déjà lourd.

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