Chronique sur les longues détentions préventives au Sénégal [Opinion]

Par Malick Samb, Juriste - Formateur

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La détention préventive est une mesure de privation de liberté visant à emprisonner une personne dans l’attente de son procès. Elle est prévue par les articles 127 et suivants du Code de Procédure Pénale.

Lorsque la personne est poursuivie pour un délit (exemples : vol, abus de confiance, escroquerie…), la détention préventive ne peut pas excéder six mois renouvellement compris. Au-delà dudit délai, le juge d’instruction est obligé d’accorder au mis en cause la liberté provisoire en attendant de terminer son enquête.

Par contre, si l’inculpé est cité dans une affaire criminelle (exemples : viol, meurtre, assassinat…), la durée de la détention n’est pas fixée par les textes qui encadrent notre politique pénale. En clair, il peut être maintenu en prison aussi longtemps que juge nécessaire le magistrat instructeur.

Cette pratique est aux antipodes de la démocratie et du respect des droits de l’homme posant du coup un problème de justice sociale.

Il n’est pas inutile de citer quelques exemples qui témoignent de l’ampleur du mal.

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Jugé pour apologie du terrorisme, Saër KEBE, arrêté il y a 4 ans, a été condamné à 3 mois assortis de sursis pour juste menaces. Imam DIANKO a été complètement absous par la justice après six ans de prison. Avant lui, d’autres comme l’imam Alioune NDAO et certains de ses co-accusés avaient connu le même sort. Ces derniers poursuivis pour terrorisme ont été acquittés après 5 ans de détention préventive. L’étudiant Ousseynou DIOP, poursuivi également pour apologie du terrorisme, avait bénéficié d’une liberté provisoire après 4 ans de détention avant d’être finalement condamné lui aussi à 3 mois assortis de sursis.

Avant de parler des réformes qui doivent être mises en œuvre pour faire cesser l’injustice dont sont victimes des centaines de Sénégalais, il convient d’évoquer quelques-uns des facteurs qui la causent.

Elle résulte fondamentalement de l’insuffisance de l’effectif des magistrats principalement des juges d’instruction. A titre illustratif, je cite un juge d’instruction qui a tenu ces propos : « quand j’étais juge d’instruction à Ziguinchor (Sud du Sénégal), dans le deuxième cabinet il y avait plus de trois cent (300) dossiers en attente, ensuite lorsque le juge du premier cabinet a été muté, j’ai cumulé les deux cabinets avec plus de 400 dossiers à traiter. Si vous prenez l’année civile, qui compte 365 jours, et que vous défalquez les jours de congés et les vacances judiciaires, vous vous rendrez compte que traiter ces 400 dossiers dans l’année était pratiquement impossible. …». Cette déclaration de Serigne Assane DRAME montre à suffisance que le manque de magistrats explique en partie sans le justifier cette tare de la justice Sénégalaise.

A cela, il sied d’ajouter la lenteur notée dans l’enrôlement des dossiers criminels. Après la clôture de l’information, ils souffrent le plus souvent au parquet avant qu’un procès ne soit organisé. Malgré la création des chambres criminelles, le problème reste entier.

Face à ce problème qui n’honore guère notre pays des mesures fortes doivent être entreprises dont entre autres :

-le recrutement conséquent de magistrats et la dotation des cabinets d’instructions de moyens financiers et matériels constituent une priorité de premier rang.

-la limitation des pouvoirs exorbitants du procureur de la République qui décerne des mandats de dépôt « à la hâte », s’avère nécessaire.

-le Sénégal doit également faire siens les standards internationaux qui indiquent que la durée raisonnable de la détention est d’un (1) an en matière criminelle. Imposer au juge d’instruction le respect d’un tel délai pourrait sans doute aucun mettre fin au phénomène.

-l’opérationnalisation de la commission juridictionnelle chargée de statuer sur les demandes d’indemnité présentées par les personnes ayant fait l’objet d’une décision de détention préventive et qui ont bénéficié d’une décision définitive de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement. Cette commission dont la mise en place est prévue par la loi n°2017-09 du 17 Janvier 2017 sur la cour suprême n’existe que sur les papiers. Le droit à une indemnisation reconnu aux victimes de cette pratique judiciaire ne peut pas avoir une effectivité si cet organe baigne dans une timidité.

Nos décideurs politiques doivent savoir que le statut d’Etat démocratique dont ils se targuent ne se limite pas seulement à l’organisation d’élections. Il implique aussi le respect des droits de l’homme. Priver à un honnête citoyen de la liberté d’aller et de venir pendant une longue période alors qu’il bénéficie de la présomption d’innocence constitue une grande injustice à laquelle l’Etat doit s’armer de volonté réelle et sincère pour y mettre définitivement fin.

Ne pensez-vous pas que le respect de la dignité humaine est un préalable au développement économique ?

Malick SAMB est un Juriste-Formateur sénégalais, capitalisant plus de 10 ans d'expérience d'enseignement dans les universités sénégalaises. Il est également séminariste et conférencier de droit.

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