Absence de reconnaissance : les femmes transformatrices sur la ligne de front (Reportage)

Selon le dernier rapport de la Direction des pêches maritimes, le secteur de la transformation des produits halieutiques a rapporté en 2019 à l’économie nationale plus de 53 milliards de francs CFA. Malgré cet apport et le nombre important de femmes qui s’y activent, c’est un secteur qui n’est pas officiellement reconnu par l’Etat du Sénégal. Les actrices montent au front.

Des femmes transformatrices

A Thiaroye sur Mer, le décor est immuable : une litanie de pirogues à l’infini qui jonchent le sol, souillé par des tas d’ordures. Alors que les vagues s’écrasent sur la berge de l’Atlantique, résidus de poissons, tessons de bouteille, morceaux de plastiques meublent le sable dont la couleur n’a pas résisté aux assauts des déchets. Cette partie de la banlieue dakaroise, peuplée majoritairement de Lébous, scrute la mer avec beaucoup d’amertume.

Ce grand bleu, qui a nourri tant de générations, est aujourd’hui une immense terre de désillusions que les usagers squattent avec angoisse. Ce sentiment est celui des femmes transformatrices. Maillon essentiel du secteur avec les pêcheurs et les mareyeurs, cette couche voit depuis des années son métier se noyer dans les méandres d’une absence de reconnaissance.

En effet, depuis plus de 10 ans, les femmes transformatrices sont toujours dans l’attente de la signature du décret de reconnaissance. Elles se sont donc engagées à l’obtenir. Le temps file et Diaba Diop, présidente du Réseau des femmes de la pêche artisanale dit ne pas comprendre ce retard. « L’Etat du Sénégal doit reconnaitre notre métier comme il l’a fait avec tant d’autres. Nous faisons un travail difficile dans de mauvaises conditions », martèle-t-elle, perçant la mer d’un regard amer.

En écho, la présidente du regroupement de micro mareyeur de Yoff, Marième Sène déplore cette situation : « Je ne sais pas pourquoi l’autorité tarde à signer le décret de reconnaissance de métier de transformatrice. Depuis plusieurs années, nous courrons après. » Ces deux femmes considèrent qu’on ne peut pas être dans un métier sans reconnaissance.

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Diaba Diop ajoute que si les métiers de mareyeur et de pêcheur sont reconnus, celle de transformatrice de produits halieutiques ne doit pas être en reste. Malgré cette longue attente, elles continuent de mener le combat. « Nous n’allons pas nous décourager. Nous allons continuer à nous battre jusqu’à la reconnaissance de notre métier », informe Diaba. Dans ce combat, elles ont le soutien des organisations comme Greenpeace Sénégal pour porter le plaidoyer.

Au petit matin de ce lundi d’avril 2023, il fait un froid de canard au quai de pêche de Thiaroye sur Mer. Les vagues s’écrasent sur les pans de mur glauques qui tentent en vain de freiner l’avancée de la mer. Ici, l’activité est intense, l’économie tourne à pleine régime. Seule l’odeur nauséabonde, qui se dégage du poisson pourri, agresse les narines. C’est ici que se trouve le siège de « Pencum Sénégal », une association qui s’active dans la transformation de produits halieutiques. La mer est calme et les pirogues reviennent de la pêche. Au bord du quai, des poissons fumés et séchés sont étalés.

Au milieu de ce capharnaüm, beaucoup de femmes s’activent. Mame Mboup War en est une. La présidente de «Pencum Sénégal» est présente sur les lieux depuis les années 1960. La pénibilité de la corvée se lit sur son visage, elle se rappelle des périodes fastes de son travail. « Depuis toute petite, je venais sur ce lieu. Ma mère y travaillait. Elle m’a fait aimer ce métier, c’est un héritage que je perpétue », termine-t-elle en souriant, joyeuse comme une drille. Plusieurs femmes comme Mame Mboup War perpétuent le legs de leurs mamans.

C’est par ce métier que certaines d’entre elles ont réalisé leur «vie». Ce que confirme d’ailleurs la vieille dame qui suit la conversation. Le front dégoulinant de sueur, Mame Mboup, puisque c’est d’elle qu’il s’agit déclare : « J’ai construit ma maison grâce à mon métier de transformatrice des produits halieutiques. Grâce à cette activité aussi, j’ai payé les études de mes enfants dans les meilleures écoles. » Comme elle, Mariéme Sène a fait fortune dans ce secteur.

Malgré tout cela, la non reconnaissance de cette profession de transformation des produits halieutiques constituent un frein à leur développement. Le ministère de la Pêche et de l’économie maritime interpellé sur le sujet apporte quelques précisions.

« Il ne reste que la validation de ces observations au niveau interne »

Par la voix de Madame Talla, la conseillère juridique dudit ministère, joint au téléphone, déclare que le décret est toujours dans le circuit. Selon elle, toutes les structures impliquées de près ou de loin dans cette affaire ont fait leurs observations. A cet effet, elle soutient : « Il ne reste que la validation de ces observations au niveau interne et ensuite il sera question de le présenter au comité technique du Secrétariat général du gouvernement. » Le processus qu’elle explique date de 2018. Un temps assez long que les femmes transformatrices ne comprennent pas. Elles considèrent que c’est un manque de volonté politique.

Un point de vue que ne partage pas la conseillère juridique. « Ce n’est pas un manque de volonté politique. Tous les ministres qui ont eu à se succéder à la tête du ministère de la Pêche et de l’Economie maritime depuis presque 10 ans ont travaillé sur ce dossier », fait remarquer Mme Talla. Elle ajoute que le processus d’élaboration du texte est une longue procédure. Surtout un décret présidentiel. Cela nécessite des concertations avec toutes les parties prenantes y compris les femmes.

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