Chaque année le 1er novembre est un jour faste pour les fleuristes, qui écoulent en une seule journée une vingtaine de millions de pots de chrysanthèmes, pour un chiffre d'affaires de plus de 200 millions d'euros. La mort ne potence pas seulement nos dulcinées, comme dans la chanson de Jacques Brel : elle fait aussi recette. Et pourtant... tout le monde, ou presque, se trompe de jour.
Bon, l'erreur n'est que vénielle : en réalité la fête de la Toussaint est inséparable du jour de commémoration de tous les fidèles défunts, le 2 novembre, dans la liturgie chrétienne qui a institué ces deux fêtes. Mais la confusion relève néanmoins d'un contresens... qui frôle l'hérésie !
Le 1er novembre est pour l'Église le jour où l'on célèbre « tous les saints », c'est-à-dire les hommes et les femmes conviés à rejoindre Dieu après leur mort. Cette fête perpétue le culte des martyrs, apparu dès les premiers temps du catholicisme, mais en l'élargissant à toutes les personnes qui vont au Paradis après leur mort. Dès le Ve siècle, Rome la célèbre le dimanche d'après la Pentecôte, au printemps. On fixa ensuite la date au 13 mai, jour anniversaire de la transformation du Panthéon de Rome, temple païen dédié à tous les dieux, en une église chrétienne dédiée à tous les saints.
Puis au VIIIe siècle, à l'occasion de la dédicace d'une chapelle de la basilique Saint-Pierre à tous les saints de l'Église, le pape Grégoire III décale la Toussaint au 1er novembre, date qui sera étendue à l'ensemble de l'Église par Grégoire IV en 835 - chaque communauté chrétienne ayant jusqu'ici pris l'habitude de célébrer les saints au jour qui lui plaisait.
Le 1er novembre, une fête... joyeuse !
La fête de la Toussaint ne célèbre donc pas la mort, mais la résurrection : elle honore « une multitude immense : non seulement les saints et les bienheureux que nous fêtons au cours de l'année liturgique, mais également les saints anonymes, que [Dieu] seul connaît », disait ainsi le pape Jean-Paul II dans son homélie de la Toussaint du 1er novembre 2000. Dans sa prédication, l'Église insiste en célébrant cette fête sur la vocation universelle à la sainteté : les chrétiens croient que chacun y est appelé. Loin d'être un jour de deuil, le calendrier chrétien fait du 1er novembre un jour de joie et d'espérance. L'évangile lu ce jour-là est celui dit des « béatitudes », qui énonce des vertus et des attitudes que les fidèles doivent adopter pour entrer dans la joie éternelle de Dieu.
Comment, en ce cas, en sommes-nous venus à fleurir les cimetières tous les 1er novembre ? C'est que pour l'Église, le culte des saints invite aussi à prier pour les morts qui ne sont pas encore entrés dans le Royaume des cieux : très vite, la nécessité d'accoler à la Toussaint un jour de prière pour les âmes des défunts est apparue. Un texte liturgique du IXe siècle mentionne pour la première fois la célébration d'une fête particulière qui leur est consacrée, en plus des messes que les familles des défunts font célébrer pour le salut de leurs proches disparus. Puis au Xe siècle, le père abbé de la puissante abbaye de Cluny reprend cette tradition à son compte, avant qu'elle ne se répande jusqu'à Rome, sous le pontificat de Léon IX. La fête est définitivement entérinée dans le calendrier liturgique romain à partir du XIIIe siècle.