Quand l'institution joue avec la constitution… [Opinion]

À l’occasion du dernier conseil des ministres tenu le mercredi 24 Novembre 2021, le Président de la République a pris la décision de faire revenir le poste de premier ministre dans notre attelage gouvernemental.

Le président Macky Sall en Conseil des ministres

La matérialisation de cette volonté présidentielle doit passer par une révision constitutionnelle par voie parlementaire.

Même si du point de vue légal, ceci ne présente aucune irrégularité, au regard de la légitimité ce projet de réforme est une énormité qui froisse le statut d’Etat de droit dont se targue notre pays.

Le poste de premier ministre est décidément malmené au Sénégal. Il a fait l’objet d’une suppression de 1963 à 1970 par l’ancien Président Léopold Sédar SENGHOR suite aux événements politiques de 1962. Puis de 1983 à 1991, le Sénégal n’avait pas de chef de gouvernement car le Président Abdou DIOUF voulait mettre fin au bicéphalisme de l’exécutif. A son tour, le Président Macky SALL a jugé nécessaire de supprimer le poste en Mai 2019.

Si pour les deux premiers, les raisons étaient politiques, elles ne l’étaient pas officiellement pour le dernier. En effet, le Président de la République avait déclaré dans les colonnes du journal « le Point Afrique » du 05 Mai 2019 que : « quand on aspire à l’émergence et qu’on est tenu par l’impératif du résultat, l’urgence des tâches à accomplir requiert de la diligence dans le travail. Ce qui doit être fait aujourd’hui ne peut pas être remis à demain. Voilà le cap que j’entends fixer aux équipes qui m’accompagneront dans ce nouvel élan de réformes transformatives… ». De cette déclaration, on apprend facilement que la suppression avait pour motif principal d’assurer la célérité et l’efficacité dans le traitement des affaires publiques afin de permettre à notre pays de tendre vers l’émergence.

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Dès lors la « résurrection » du premier ministre moins de trois (3) ans après sa « disparition » laisse planer un doute quant à l’opportunité de la décision.

Posé par l’article 103 de la constitution, le principe de la révision constitutionnelle est un levier juridique qui assure la vitalité démocratique d’un Etat. Son application doit être motivée par la correction d’erreurs matérielles ou l’adaptation aux circonstances changeantes.

On assiste malheureusement à son instrumentalisation à des fins purement politiques et les arguments annoncés pour défendre ce projet de réforme peinent à convaincre.

D’une part les raisons économiques et sociales qui sont avancées pour justifier la restauration du poste, sont les mêmes que celles qui prévalaient en Mai 2019 lors de sa suppression. Pire, elles sont exacerbées par la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid 19.

D’autre part, la présidence de l’Union Africaine par le Président de la République Macky SALL ne peut pas être évoquée sans faire rire. En effet, cette présidence étant tournante, le Sénégal savait depuis très longtemps qu’à partir de Janvier 2022, elle lui reviendra. Ce n’est pas par tirage au sort…

Appréhendée sous ces deux angles, cette révision manque de sens et de cohérence. Elle apparait comme un jeu dangereux auquel se livre le chef de l’Etat, chef de parti, pour inciter ses différents responsables politiques investis sur les listes électorales des prochaines locales, à mouiller le maillot pour mériter une récompense ministérielle dans le futur gouvernement.

A mon sens, la stabilité institutionnelle ne doit pas être mise en péril pour des considérations politiciennes.

La réputation d’un Etat stable, épargné par les coups d’Etats et les guerres politico-éthniques depuis l’indépendance est en train d’être sapée par ces réformes sempiternelles.

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