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Fête des pères : “Barké Baay”, une valeur en recul chez une jeunesse en rupture

Alors que le Sénégal célèbre ce dimanche la Fête des pères, le thème “Barké Baay” nous interroge sur la place réelle accordée aux pères dans les foyers. Jadis figures respectées et écoutées, beaucoup se sentent aujourd’hui mis à l’écart par une jeunesse de plus en plus déconnectée des valeurs de respect, d’obéissance et de reconnaissance parentale.

La Fête des pères, souvent moins médiatisée que celle des mères, devrait pourtant être un moment fort de reconnaissance envers ces piliers de la famille. Le thème “Barké Baay”, littéralement “la bénédiction du père”, rappelle une vérité culturelle essentielle dans les sociétés africaines : la parole du père, sa satisfaction, sa prière ont un poids spirituel et moral profond. Mais ce que l’on observe aujourd’hui dans de nombreux foyers sénégalais, c’est un affaiblissement du lien entre les pères et leurs enfants, en particulier chez une jeunesse que certains qualifient d’“impatiente, irrévérencieuse et centrée sur elle-même”. Les témoignages de pères marginalisés, ignorés ou même humiliés par leurs enfants se multiplient. C'est le cas de Vieux Camara chauffeur de bus à Kaolack âgé de 52 ans « Mon fils ne m’appelle plus. Il dit qu’il est occupé à construire sa vie, mais il trouve du temps pour les réseaux sociaux », a t-il confié.

Fête des pères : “Barké Baay”, une valeur en recul chez une jeunesse en rupture

Dans la culture sénégalaise, et plus largement dans de nombreuses sociétés africaines, le père n’est pas seulement un géniteur ou un chef de famille , il incarne une autorité morale, un repère spirituel et un canal de transmission entre générations. Le proverbe wolof « Barké baay du dul », littéralement la bénédiction d’un père ne se refuse pas, exprime cette croyance profonde que la prière, la satisfaction ou même le silence positif d’un père peuvent façonner le destin d’un enfant. La bénédiction paternelle est vue comme une protection invisible, un visa spirituel qui ouvre les portes de la réussite, éloigne les obstacles et trace un chemin de stabilité dans la vie. À l’inverse, le mécontentement ou la malédiction d’un père est considéré comme lourd de conséquences, parfois plus redouté que les épreuves sociales ou matérielles.

Dans les quartiers populaires comme dans les milieux plus aisés, les manifestations de ce déséquilibre intergénérationnel sont nombreuses :

  • des jeunes qui crient sur leurs pères en public, sans gêne ;

  • des enfants qui refusent toute aide familiale mais dépendent financièrement de leurs parents sans les consulter ;

  • des filles ou garçons qui quittent la maison sans prévenir, ignorent les conseils ou rejettent les traditions au nom de la modernité.

Certains sociologues parlent de "désacralisation de la figure paternelle", accentuée par la digitalisation, les réseaux sociaux, ou encore la perte d’autorité liée à l’éclatement familial. Le père, autrefois figure d’autorité et de repère, devient parfois un simple spectateur de la trajectoire de ses enfants. Dans une société où la mère reste hautement valorisée, certains pères estiment être oubliés, voire déconsidérés. Pourtant, leur rôle reste crucial dans l’éducation, la protection et la stabilité émotionnelle des enfants.

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Pour Mouhamed Ba journaliste et rédacteur en chef de Pulse Sénégal "une grande majorité des adolescents et jeunes manquent de respect à leur parent. De nombreux parents souffrent du mauvais comportement de leurs enfants. Certains d'entre eux n'obéissent pas ou ne respectent pas les positions de leurs parents, provoquant une profonde tristesse." On peut pointer alors la démission parentale, comme premier facteur d’indiscipline chez les jeunes. Poursuivant il rappel l'impact de la technologie sur le comportement des enfants en l'endroit de leur parent "mais, il faut souligner que les jeunes d’aujourd’hui vivent d’une manière totalement différente qu’auparavant. Car ils sont nés dans un monde technologique où tout se passe et change très rapidement. Les parents peuvent trouver très difficile d’élever des enfants de la jeune génération car ces jeunes sont en contact avec de nombreux stimuli différents et vivent une réalité parfois inconnue des personnes plus âgées". Parmi les autres causes possibles, "les parents veulent donner à leurs enfants toutes les choses qu'ils n'avaient pas quand ils étaient jeunes. Je parle des jouets, des vêtements de luxe, des nouveaux gadgets électroniques comme la télévision dans leur chambre, les nouvelles consoles, les ordinateurs et tablettes. La plupart des enfants passent donc tout leur temps à jouer aux jeux vidéos, à regarder la télé, ou à envoyer des Snapchat à leurs amis". En gros, ils sont pourris gâtés de choses. Il y a aussi des différences de valeurs et de croyances, ou des problèmes de communication.

Fête des pères : “Barké Baay”, une valeur en recul chez une jeunesse en rupture

Ces comportements, contrairement aux valeurs ancestrales sénégalaises, brisent le principe même de « Barké Baay ». Car le père n’est pas une option. Il est un pilier. Un homme dont le silence peut être plus lourd que mille sermons. Et lorsqu’il est trahi, humilié ou méprisé, il se retire… avec sa bénédiction. Dans la spiritualité sénégalaise, un enfant qui perd la "barké baay" s’expose à des blocages invisibles : instabilité, échec répété, troubles émotionnels, malchance sociale. Et ce, non pas par malédiction, mais parce que le déséquilibre entre les générations crée une faille dans la transmission du destin. Un proverbe populaire résume ce lien sacré : « Ku toppu baay, toppu boppam. » qui respecte son père, se respecte lui-même.

En cette Fête des pères, l’heure est à la réconciliation avec nos repères masculins. Barké Baay n’est pas une formule vide : c’est un socle de bénédiction, de guidance et de transmission. Il est temps pour la jeunesse de se réapproprier cette valeur, de renouer le dialogue intergénérationnel et d’ouvrir à nouveau leurs cœurs à ceux qui, souvent dans l’ombre, ont porté les fondations de leur avenir.

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