Le Traité de Marrakech : une opportunité de renforcement des droits des personnes handicapées

#UneContributionDeThiernoDaoudaDiallo | Le Traité de Marrakech visant à faciliter l’accès des aveugles, des déficients visuels et des personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux œuvres publiées : une opportunité de renforcement des droits des personnes handicapées

Thierno Daouda Diallo

Tant attendu par les acteurs de la promotion et de la défense des droits des personnes handicapées, le Traité de Marrakech visant à faciliter l’accès des aveugles, des déficients visuels et des personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux œuvres publiées constitue une grande opportunité pour les personnes aveugles ou à basse vision, ainsi que les personnes qu’un handicap empêche de lire d’accéder aux ouvrages imprimés.

Il a pour objectif de rendre le plus facilement accessibles les œuvres à disposition de ces catégories sociales vulnérables du fait de leur handicap. Concrètement, il vise à éliminer les barrières de la législation sur les droits d'auteur aux personnes ayant des difficultés à la lecture des caractères imprimés en termes d'accès aux ouvrages et autres produits culturels en opérant une articulation entre des instruments de promotion des droits humains et des instruments de propriété littéraire et artistique.

Le Traité a aussi pour objectif de faciliter la circulation des œuvres adaptés aux besoins des personnes handicapées d’un établissement à un autre, mais aussi entre États parties. Ainsi, il serait donc permis, au sens du Traité, à des entités désignées par le législateur d’adapter une œuvre sans l’autorisation préalable de l’auteur.

Adopté depuis le 27 juin 2013 à Marrakech à l’occasion d’une conférence de l’Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle, le Traité de Marrakech a fait l’objet d’une signature par le Gouvernement du Sénégal qui, malgré le plaidoyer des organismes de défense et de promotion des droits des personnes handicapées, ne l’a pas encore ratifié.

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La ratification attendue de cet instrument permettra de renforcer les droits des personnes handicapées en garantissant aux personnes ayant des difficultés de lecture un accès continu aux ouvrages publiés qui seront « sous format accessible ».

Celui-ci renvoie à tout format permettant à une personne ayant des difficultés à la lecture des caractères imprimés de lire une œuvre aussi confortablement qu’une personne qui ne souffre pas de cette difficulté.

Les formats accessibles renvoient au Braille, aux gros caractères, aux livres audio et aux formats numériques tels que les livres DAISY (système d’information accessible numérique) audio uniquement, les livres DAISY à texte plein (texte surligné synchronisé avec le convertisseur de texte en discours ou la narration humaine) et le format EPUB3 (livre électronique doté de caractéristiques d’accessibilité intégrées).

Un texte conforme à la législation et à la politique sénégalaise de promotion des droits des personnes handicapées.

Du point de vue de sa conformité avec le droit et la politique sénégalaise en matière de handicap, le texte ne pose aucune ambiguïté. Il permettra, en effet, de rendre plus effectif l’article 17 de la Constitution qui dispose que « l'Etat et les collectivités publiques ont le devoir de veiller à la santé physique et morale de la famille et, en particulier des personnes handicapées et des personnes âgées ».

Il est adossé à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme qui proclame « les principes de non-discrimination, d’égalité des chances, d’accessibilité et de pleines et effectives participation et inclusion sociales » et se réfère à la Convention des Nations Unies de 2006 relative aux droits des personnes handicapées ratifiée par le Sénégal en 2009.

Cet instrument de référence dans la promotion et la protection des droits des personnes handicapées reconnait dans son Préambule qu’il importe que « les personnes handicapées aient pleinement accès aux équipements physiques, sociaux, économiques et culturels, à la santé et à l’éducation ainsi qu’à l’information et à la communication pour jouir pleinement de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentale ».

Sur le plan politique, la ratification du Traité constituera une nouvelle avancée dans la réalisation de l’agenda de développement universel en 2030 qui postule la prise en compte des personnes handicapées dans la mise en œuvre des politiques et programmes de développement. Son application contribuera à concrétiser la vision établie par l’Union Africaine dans l’Agenda 2063, L'Afrique que nous voulons, dont l’Aspiration 1 prône une Afrique prospère fondée sur une croissance inclusive et un développement durable. Il s’inscrit également dans la vision du Plan Sénégal Emergent qui est d’assurer une croissance inclusive et une lutte soutenue contre les inégalités.

Outre le renforcement des droits culturels pour les personnes handicapées, le texte contribuera aussi à leur garantir l’accès à l’éducation, à la formation et au savoir. D’ailleurs, la Loi d’orientation sociale n° 2010-15 du 6 juillet 2010 relative à la promotion et à la protection des droits des personnes handicapées qui est le cadre de référence national en matière de politiques publiques favorables aux personnes handicapées prône, en son article 24, la mise en place d’un système d’éducation au sein des centres de formation des cadres et des centres de formation professionnelle adapté, permettant aux aveugles et aux malvoyants de poursuivre leurs études et leur formation.

Ces transformations sociales ne pourront être obtenues qu’à travers une bienveillante mise en pratique du traité qui nécessitera quelques aménagements.

Un texte dont la mise en pratique appellera des aménagements

La mise en pratique du Traité de Marrakech nécessitera tout d’abord une modification des dispositions normatives en matière de droit d'auteur, plus précisément la Loi n° 2008-09 du 25 janvier 2008 portant loi sur le droit d’auteur et

les droits voisins, afin d’autoriser la production, l'utilisation et le partage de copies sous format accessible. En effet, la Loi sur le droit d’auteur et les droits voisins ne contient aucune disposition faisant référence à la situation particulière des personnes handicapées alors que le Traité exige aux Etats qui l’ont ratifié de modifier leurs législations nationales et d’inclure une série d'exceptions et de limitations aux droits exclusifs des titulaires des droits d’auteur (articles 4 et 11 du Traité).

Il conviendra donc d’introduire dans la loi 2008-09, plus précisément dans la partie traitant des exceptions au droit de communication au public et au droit de reproduction, une exception en faveur de personnes atteintes d'un handicap.

Dénommée « exception handicap » par la doctrine, elle est généralement formulée d’une manière générique afin d’élargir le champ des bénéficiaires. Ainsi, ce ne seront pas uniquement les personnes aveugles ou malvoyantes qui seraient prises en compte. Pourraient aussi en bénéficier, les personnes qu’un handicap empêchent de tenir ou de manipuler un livre ou encore celles victimes de certaines maladies telles que la dyslexie ou la dyspraxie.

En outre, il conviendra d’adopter un décret fixant les modalités d'établissement de la liste des personnes morales et des établissements qui seront habilités à concevoir, réaliser ou communiquer des documents sous format accessible en vue de leur consultation par des personnes handicapées. Cela devrait se faire à partir d’une collaboration entre le Ministère en charge de la Culture et celui en charge de la promotion des droits des personnes handicapées.

Il en est ainsi en France où la liste des personnes morales et des établissements habilités à concevoir, réaliser ou communiquer des documents sous format accessible est établie par un arrêté conjoint émanant des deux autorités. De même, la Bibliothèque nationale du Sénégal sera amenée à jouer un rôle prépondérant dans la mise à disposition des ouvrages au profit des personnes handicapées.

Il en est de même pour les services d’archives, les centres de documentation et espaces culturels multimédias qui pourraient être amenés à mettre des œuvres protégées à la disposition des personnes handicapées.

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*Thierno Daouda Diallo est un juriste diplômé de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar.

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