Des anomalies qui se chiffrent à des milliards FCFA
Sur demande de l'Autorité de Régulation des Marchés Publics (Arcop), le cabinet Grant Thornton a passé au crible la gestion du département ministériel et ce qu'il a découvert dépasse l'entendement. Le rapport, d'une précision chirurgicale, démontre comment un système organisé de détournement a été mis en place, allant de la simple irrégularité formelle à la fraude pure et simple. Les auditeurs ont identifié pas moins de six marchés publics présentant des anomalies graves, pour un montant total qui se chiffre en milliards de FCFA.
Les fautes d'orthographe "E-Gow" au lieu de "E-Gov".
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Le mécanisme le plus flagrant mis en lumière par l'audit concerne la trucage des offres. Dans un souci de transparence factice, le ministère invitait plusieurs soumissionnaires, mais toutes les offres provenaient visiblement de la même source. La preuve ? Pour le marché relatif à l'élaboration des textes juridiques de l'E-Gouv, les quatre soumissionnaires ont tous commis la même faute d'orthographe en écrivant "E-Gow" au lieu de "E-Gov". Plus incroyable encore, toutes les propositions portaient le même numéro de proforma - le numéro 10. "Ces similitudes troublantes ne peuvent être le fruit du hasard", note le rapport qui évoque une "entente entre soumissionnaires" clairement orchestrée.
Des prix facturés 5 à 10 fois supérieurs à ceux du marché
La surfacturation atteint des niveaux inédits dans l'acquisition de matériel. Les auditeurs sont tombés sur des prix qui défient toute logique économique : une simple visseuse-perceuse facturée 148 000 FCFA, un marteau menuisier à 12 000 FCFA, un marteau arrache-clou à 8 000 FCFA. Soit des prix 5 à 10 fois supérieurs à ceux du marché. "Les prix unitaires proposés nous semblent exagérés par rapport à la réalité du marché", s'indignent les auditeurs dans leur rapport dont Libération détient copie. Même constat pour les consommables : des packs d'eau minérale facturés 4 500 FCFA alors que leur prix ne dépasse pas 1 800 FCFA dans le commerce.
L'audit révèle également des pratiques de corruption déguisée à travers l'attribution systématique de marchés à des entreprises incompétentes. Ainsi, la société Ndèye Maty Trade, officiellement spécialisée dans le commerce général et les travaux publics, s'est vue attribuer un marché de services relatif à l'organisation de visites professionnelles. De même, pour des formations en management des projets TIC, c'est une entreprise dont l'objet social est la confection et la librairie qui a été retenue. "Les candidats consultés ont des raisons sociales diverses sans lien avec l'objet du marché", constatent impuissants les auditeurs.
La gestion des travaux montre un niveau d'amateurisme et de mauvaise foi inquiétant, si l'on en croît aux auditeurs. Pour les travaux de réhabilitation du ministère, le dossier ne comportait aucune description précise des travaux à réaliser. Pourtant, le procès-verbal d'attribution certifiait que l'offre retenue était "conforme aux spécifications techniques". "Un mensonge éhonté" puisque, comme le relève le rapport, "le dossier ne comporte pas de spécifications techniques". Les auditeurs suspectent également un fractionnement de marchés, technique illégale pour contourner les procédures d'appel d'offres.
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L'organisation des événements n'a pas échappé à la règle. Pour la fête des agents du ministère, deux offres différentes comportaient la même faute d'orthographe : "buffet compler" au lieu de "buffet complet". Trois proforma écrivaient "un mil-lions" au lieu d'"un million". "Ces erreurs identiques sur des documents provenant de sociétés différentes sont la preuve irréfutable d'une collusion", analyse un expert en marchés publics joint par Libération. Les convocations des commissions se faisaient dans des délais illégaux, parfois datées un samedi, preuve d'un mépris total des procédures.
Face à ce constat accablant, l'Arcop se trouve devant une montagne. Les preuves recueillies par Grant Thornton sont suffisantes pour engager des poursuites judiciaires pour "détournement de fonds publics, corruption et entente illicite". Contacté par Libération, le ministère concerné n'a pas donné suite aux demandes d'explication.


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