Au Maroc, la tannerie de Chouara surgit au fond de Fès el-Bali comme une excavation ancienne, un amphithéâtre minéral creusé dans la médina. Dans le quartier de Blida et le souk des tanneurs, une odeur âcre et puissante parvient aux narines. Un mélange d’urine de vache, de chaux vive, d’eau et de sel est utilisé pour retirer les poils, la graisse et les résidus de chair des peaux. De l’eau mélangée aux excréments de pigeons, riches en ammoniac, est ensuite utilisée pour assouplir le cuir et le rendre plus apte à absorber les colorants.
La tannerie Chouara est la plus vaste de Fès et l’une des plus importantes encore en activité dans le monde. L'OBS, qui a plongé au coeur de la tannerie Chouara, interroge Ahmad : «C’est la deuxième plus grande tannerie au monde, après celle de l’Inde.» Le processus débute par une classification stricte de la laine. Ahmad explique, détaille, enseigne : «Il y a deux sortes de laine : la laine morte et la laine vivante.» La laine morte provient de l’animal abattu avant l’épilation. La laine vivante est tondue directement sur le dos du mouton encore vivant. La hiérarchie est claire : «La meilleure qualité, c’est la laine vivante. Elle sert aux tapis marocains. La laine morte, elle, va dans les poufs et les matelas.» A Chouara, rien ne se perd. Tout est classé, orienté, valorisé.
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Vient ensuite l’étape la plus redoutée par le visiteur profane : les bacs blancs remplis de fiente de pigeons. C’est là que l’odeur devient presque insoutenable. Ahmad éclate de rire, conscient de l’effet : «C’est ça qui donne l’odeur. L’acide et l’ammoniac assouplissent la peau.» Puis la blague fuse : «Ici, on appelle ça la place Chanel numéro 5. Pas Coco Chanel… Caca Chanel !» Derrière la dérision, une réalité économique. «Le kilo d’excréments de pigeon coûte environ 20 euros», explique Ahmad. Soit près de 13 000 francs Cfa. Chaque dimanche, jour du souk, des fournisseurs livrent cette ressource collectée dans les maisons. Dans de nombreux pays, cette matière est rejetée comme nuisance ou réduite à un simple rôle de fertilisant. A la Médina de Fès, elle devient une valeur marchande, une manne organique intégrée à une chaîne économique maîtrisée.