Interview RFI-Ousmane Sonko : Les tréfonds trébuchants de la géopolitique [par Babacar Justin Ndiaye]

Par Babacar Justin Ndiaye | Le passage inopiné d’Ousmane Sonko sur RFI et France 24 synchronisées, en face de deux grosses pointures, les vedettes Christophe Boisbouvier et Marc Perelman (deux journalistes habituellement commensaux des chefs d’État en exercice), a engendré l’effet d’un coup de tonnerre dans le landernau politique sénégalais et… au-delà.

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La surprise générale renvoie aux positions carrées et tranchées du Leader de PASTEEF sur les rapports franco-sénégalais et sur la politique de l’ex-Puissance colonisatrice en Afrique. L’évènement médiatique a inévitablement secrété la question que voici : le crédo de Sonko, jusque-là en béton, est-il devenu un dogme en caoutchouc voire une opinion élastique ?

Une réponse politique et intelligible s’impose. Justement, la politique étant ce qui est avant d’être ce que l’on veut, c’est-à-dire le choc entre le réel et l’idéal, Ousmane Sonko se préoccupe logiquement de pulvériser les préjugés tenaces et de casser les clichés solides qui lui collent à la peau. D’où le bémol qu’il a mis sur le sentiment anti-français et le rejet de l’autarcie qu’il a exprimé.

Dans un contexte pré-électoral très décisif et dans une conjoncture judiciaire assez incertaine pour lui, ce discours doucereux et ondoyant envers la France dont l’influence reste encore prégnante au Sénégal, reflète une démarche stratégiquement compréhensible et intelligente. Paul Austin a dit : « La politique est un cheminement entre les grands principes et les petits arrangements ».

Si au plan domestique (les affaires sénégalo-sénégalaises), Ousmane Sonko a profité de la « Radio mondiale » et de la « Lucarne de la France » pour polir son image d’acteur politique de grande envergure, il en est différemment sur le terrain africain où il a trébuché sur les écueils nichés dans les tréfonds de la géopolitique. Un domaine qui ne lui est pas encore familier. Et qu’il ne maitrise pas ; notamment à l’échelle du Sahel.

En effet, ses arguments relatifs à la Russie et à la firme de mercenaires WAGNER sont historiquement erronés et pratiquement approximatifs. Car les relations de solidarité agissante entre l’ex-URSS, réduite aujourd’hui à la Russie, furent déterminantes dans le combat d’émancipation des ex-colonies et, surtout, durant la lutte des Mouvements de Libération Nationale.

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Sans les armes russes et les soutiens diplomatiques du Bloc communiste d’alors (Chine et Urss), des pays comme l’Algérie, le Vietnam, la Namibie, l’Angola, le Mozambique, la Guinée-Bissau de Cabral etc. auraient accédé à l’indépendance plus tardivement et plus tragiquement. Pendant combien d’années, sur le deux terrains militaire et diplomatique, les Américains et les Européens ont été (droits de veto à l’appui) les très efficaces protecteurs des régimes racistes d’Afrique du Sud et de Rhodésie ?

Impossible donc de loger à la même enseigne les Russes et les Français. Même dans le domaine affreux du mercenariat où les Colonels Roger Trinquier au Katanga (1960) et Bob Denard aux Comores (les années 70) ont tristement devancé, sur le continent africain, Éveguéni Prigogine, le fondateur de WAGNER.

S’agissant du Sahel, tous les spécialistes savent que les dirigeants du Mali et du Burkina envisagent l’alternative russe un peu malgré eux et, surtout, à leurs corps défendant. Ces deux Juntes savent que la Russie n’est pas une panacée mais une nécessité du moment. Quand on est pris en sandwich entre la maladie Ébola et celle du Sida, le choix est forcément douteux. Soyons donc indulgents vis-à-vis des officiers Goïta et Traoré ! Même si Ousmane Sonko a parfaitement raison d’emprunter (sans le savoir) la juste formule de feu Sékou Touré : « Changer de tuteur, ce n’est pas se libérer ».

À cet égard, la crise de confiance entre ces deux pays sahéliens et la France ne repose pas sur des hallucinations. En effet, les chefs militaires comme les populations meurtries du Burkina ont du mal à comprendre que la « zone des trois frontières » grouille de terroristes armés, véhiculés et ravitaillés en carburant ; sans être repérés par les satellites américains aiguillonnés depuis la base américaine d’Agadez au Niger, ni allumés par les drones et les Mirage français stationnés sur l’aéroport Diori Hamani de Niamey.

Au Mali, l’équation est encore plus ardue. Les officiels et les citoyens ordinaires ont l’intime conviction – à tort ou à raison, que l’opération BARKHANE était aussi anti-terroriste que favorable aux rebelles touaregs désireux de proclamer l’indépendance de l’Azawad. Au demeurant l’Accord d’Alger signé en 2015 renferme les germes d’une partition territoriale à court terme et d’une perspective fédérale à moyen terme.

Voilà les dessous de cartes sahéliennes non prises en compte dans la réponse d’Ousmane Sonko qui renvoie dos à dos Russes et Français. À tort ! Car au Sahel, la Russie n’est pas la solution mais la France est le problème.

À mon avis, Ousmane Sonko devait enjamber cette séquence de l’interview qui figure dans la croisade anti-russe de l’Élysée et du Quai d’Orsay. Une croisade en quête de cautions crédibles !

Par Babacar Justin Ndiaye, Journaliste et politologue sénégalais

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