Niger : la Cedeao doit savoir raison garder [Opinion du Contributeur]

Au Niger, les militaires sont dans la place. Mahamadou Issoufou a été le premier président nigérien démocratiquement élu de histoire à pouvoir passer la main à un autre président démocratiquement élu.

Le drapeau russe brandi lors de manifestations au Niger [Al Jazeera]

Ce bond en avant est aujourd’hui gravement compromis. Mohamed Bazoum est toujours entre les mains des militaires qui sont restés intransigeants en dépit des remontrances de la communauté dite internationale. Son prédécesseur a évité la tentation du diable fatale à Mamadou Tandja renversé en 2010 par Salou Djibo. Bazoum n’aura pas cette chance en dépit d’un volontarisme évident, un grand engagement pour perpétuer l’héritage d'Issoufou qui a remis la démocratie sur les rails même s’il a un certain passif comme l’emprisonnement de l’opposant Hama Amadou en 2015 et les arrestations d'acteurs de la société civile en 2017 et en 2018. Sans oublier la crise sécuritaire si compliquée.

« L'approche sécuritaire actuelle n'a pas permis de sécuriser le pays en dépit de lourds sacrifices consentis par les Nigériens et le soutien appréciable et apprécié de nos partenaires extérieurs », a expliqué le général Tchani Abdourahamane patron de la garde présidentielle dés les premières heures du coup. Le président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Csnp) était lui-même choisi par Issoufou et confirmé par Bazoum. La chute est actée. Les coups de gueule sont jusqu’ici vains comme c’est le cas au Mali, en Guinée et au Burkina Faso.

Entre la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et les putschistes au Niger, c'est une guerre des nerfs. Une bataille psychologique qui prépare une véritable confrontation que les deux parties appréhendent manifestement avec gravité. L’instance sous-régionale qui a décidé, jeudi 10 août 2023, de retenir l’option d’une intervention militaire après avoir attendu vainement une attitude moins ferme, conciliante des militaires, est consciente que les choses ne sont pas simples. Le Niger n’est pas la Gambie en référence au dernier théâtre d’opération de la force qui avait eu raison de Yaya Jammeh en 2017.

D’abord, ce dernier a été chassé après une élection présidentielle qu’il avait reconnu avoir perdu avant de se dédire. La Gambie « dans la gueule » du Sénégal, petite comme une langue dans une grande bouche, est facilement maitrisable. L’armée sénégalaise au-devant des opérations n’a pas eu de la peine pour faire tomber un dictateur qui était devenu impopulaire. Une réussite éclatante personnelle du président Macky Sall. Le Niger vaste pays de l’Afrique de l’Ouest, en proie à des remous, exposé aux coups d’Etat et aux attaques terroristes, n’est pas un terrain aisé. Mohamed Bazoum démocratiquement élu et renversé irrégulièrement n'est pas au sommet de sa gloire. Les militaires qui ont eu raison de lui ont trouvé un terreau fertile à leur faveur.

La crise sécuritaire qui persiste, les difficultés quotidiennes des populations, la lassitude sont autant d’éléments qui expliquent la mobilisation d’une partie de l’opinion dans la défense des auteurs du putsch. Des populations qui sont inspirées par un contexte régional inflammable. Le Mali, la Guinée et le Burkina Faso dirigés par des régimes militaires affichent leur soutien à leurs « frères d'armes ». Les risques d'enlisement sont réels. La mobilisation d’une force dans ces conditions ne peut être, pour le moment, qu’une option dissuasive. Une guerre impopulaire contre les peuples est perdue d'avance.

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Si au Niger se heurtent des puissances occidentales qui défendent crânement leurs intérêts, la Russie joue la carte de l'opportunisme. L’occasion fait le larron. Au moment où la France appuie clairement la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) dans sa logique de réagir même avec les armes, pour le rétablissement de l'ordre constitutionnel, Moscou réaffirme être contre toute intervention armée, estimant que l'usage de la force pourrait provoquer une "forte déstabilisation" de ce pays sahélien. Une position aux antipodes de celle des États-Unis l’autre « ennemi » russe. Une position qui se rapproche davantage de la rue nigérienne qui est si bruyante en soutenant avec détermination les putschistes comme c’était le cas l’autre vendredi dans un stade plein à craquer.

Paris est dans le creux de la vague et est contestée de jour en jour par une population qui pense que l’ancienne puissance coloniale est à l’origine de tous ses maux, toute sa souffrance, aidée en cela par des dirigeants qui agiraient sous la dictée de l’Hexagone. Une idée tenace qui a fait le lit des contestations souvent violentes notamment au Burkina Faso et au Mali voisin qui a décidé de faire du « gatsa gatsa diplomatique » avec une France qui ne cesse de recevoir les foudres ici et ailleurs. La Cedeao qui est en parfait décalage avec les masses africaines, risque de creuser le fossé qui la sépare de ceux-là qu’elle est censée servir.

La Cedeao des peuples est une idée vague et une perspective lointaine. Une guerre au Niger est risquée. Elle sera synonyme d’une guerre contre le Mali, le Burkina Faso, la Guinée, du moins un défi lancé à ces régimes militaires qui jouent avec succès la carte du nationalisme. Une raison de plus… de savoir raison garder même si ces militaires-là ne sont pas dignes de confiance.

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