Les raisons d'un report
Alors que le lancement officiel de la campagne électorale était prévu pour un dimanche 4 février 2024, le président de la République du Sénégal, Macky Sall, dans un discours à la nation, a pris la décision par décret, de reporter l'élection présidentielle du 25 février. Raison invoquée : la contestation du processus électoral après la mise en place d'une commission parlementaire enquêtant sur deux juges du Conseil constitutionnel dont l'intégrité est contestée.

A la suite d’un recours de contestation déposé au Conseil constitutionnel contre la double nationalité de Karim Wade, par Thierno Alassane Sall, leader de la République des Valeurs, le groupe parlementaire Démocratie, Liberté et Changement avait déposé une proposition de loi pour le report de la présidentielle.
Une démarche appréciée par fils de l’ancien président Abdoulaye Wade. Karim Wade, du Qatar où il est en exil depuis plusieurs années, a réagi sur le réseau social X. "Je soutiens totalement cette initiative parlementaire qui vise à corriger les graves défaillances de notre système électoral. Cette proposition de loi permettra de réparer le préjudice subi par plus de 40 candidats écartés de l’élection présidentielle. J’appuie sans réserve cette initiative et je demande aux militants du Parti démocratique sénégalais (PDS), à nos alliés et aux millions de Sénégalais qui se battent à mes côtés de soutenir à leur tour ce report", a-t-il souligné.
Karim Wade et le PDS disent OUI au report
Après avoir examiné le projet de résolution visant la constitution d’une Commission d’Enquête parlementaire, en vue d’éclaircir les conditions de l’élimination du candidat recalé du PDS, le Bureau de l’Assemblée nationale a validé ladite proposition de loi. Le président Macky Sall a décidé de ne pas convoquer le corps électoral pour la présidentielle de février 2024 : " (...)Compte tenu des délibérations en cours à l’Assemblée nationale réunie en procédure d’urgence, et sans préjuger du vote des députés, j’ai signé le décret n° 2024-106 du 3 février 2024 abrogeant le décret n° 2023-2283 du 29 novembre 2023 portant convocation du corps électoral".
Dans son discours, le président sénégalais a évoqué un différend entre l'Assemblée et le Conseil constitutionnel. "Alors que s’annonce l’élection présidentielle du 25 février 2024, notre pays est confronté, depuis quelques jours, à un différend entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, en conflit ouvert sur fond d’une supposée affaire de corruption de juges", a déclaré le président Macky Sall dans son adresse à la nation.
Le président Sall a aussi évoqué le cas de la candidate Rose Wardini, interrogée et placée en garde à vue après des révélations sur sa binationalité française et sénégalaise ont fait surface. Selon lui, "ces conditions troubles pourraient gravement nuire à la crédibilité du scrutin en installant les germes d’un contentieux pré et postélectoral".
"Alors qu’il porte encore les stigmates des violentes manifestations de mars 2021 et de juin 2023, notre pays ne peut pas se permettre une nouvelle crise", rappelle Macky Sall. "J’ajoute qu’en ma qualité de Président de la République, garant du fonctionnement régulier des Institutions, et respectueux de la séparation des pouvoirs, je ne saurais intervenir dans le conflit opposant le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire", dit-il.
L'opposition manifeste, trois morts
L'opposition a appelé à manifester, dimanche 4 février, contre la décision du dirigeant sénégalais de reporter la Présidentielle. Des hommes et des femmes de tous âges, agitant des drapeaux du Sénégal ou portant le maillot de l'équipe nationale de foot, ont ainsi convergé en début d'après-midi vers un rond-point sur l'un des axes routiers principaux de la capitale. Les gendarmes, déployés en grand nombre, ont déclenché un tir nourri de gaz lacrymogènes pour les disperser. Les forces de l'ordre se sont ensuite enfoncées à pied ou en pickups dans les quartiers adjacents à la poursuite des manifestants en fuite. Ils ont alors essuyé de nombreux jets de pierres. Des jeunes scandant "Macky Sall dictateur !" ont également entrepris de dresser des barrages avec des moyens de fortune.

Le report a entrainé trois morts. Ils s’appelaient Alpha Yoro Tounkara, Modou Gueye et Landing Camara. Le premier, un étudiant de 22 ans, a été tué vendredi à Saint-Louis, ville côtière du nord-ouest du Sénégal, dans des circonstances inconnues. Le second, un marchand ambulant de Dakar à peine plus âgé, a succombé ce samedi 10 février au matin à une blessure par balle. Le troisième, un lycéen de 16 ans, est décédé samedi soir après avoir grièvement blessé à la tête lors d’une manifestation à Ziguinchor, en Casamance, fief de l’opposition.
Le Conseil constitutionnel invalide le report de la Présidentielle
Le Conseil constitutionnel a invalidé jeudi 15 février le report de la présidentielle du 25 février au 15 décembre, plongeant dans l'inconnu le pays en proie à l'une de ses plus graves crises politiques depuis des décennies. L'instance a jugé que le texte de loi adopté par le Parlement pour reporter l'élection présidentielle, qui devait initialement se tenir le 25 février, viole la Constitution et doit être annulé. Le Conseil constitutionnel a par ailleurs annulé le décret du président Sall qui, trois semaines seulement avant l'échéance, modifiait de facto le calendrier électoral.