La chanteuse Mia Guissé est au centre d’une controverse après une plainte déposée par Mame Matar Guèye. Il n’aura pas fallu longtemps au vice-président de l’Ong islamique Jamra pour dégainer et brandir une menace judiciaire. L’affaire est désormais portée devant la justice. Mame Matar Guèye, selon ses termes, accuse la chanteuse d’avoir tenu, lors d’une prestation scénique, des propos à caractère «pornographique». Considérant que certains passages de la chanson interprétée porteraient atteinte aux bonnes mœurs, il réclame des sanctions et appelle à «préserver les valeurs morales de la société sénégalaise».
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L'art n'a pas à plaire à tout le monde
De son côté, Mia Guissé n’a pas réagi publiquement à la plainte, mais plusieurs soutiens du monde artistique plaident pour le respect de la liberté d’expression. Ils estiment que l’artiste n’a fait qu’exercer son droit le plus fondamental, celui de créer, de s’exprimer sans intention de choquer ou de heurter les sensibilités. Dans les colonnes de L'OBS, son frère et producteur, Pape Djibril Guissé, est monté au créneau.
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A en croire M. Guissé, «à travers ces offensives répétées, le responsable religieux s’érige en enseur autoproclamé, distribuant les brevets de moralité à sa guise, souvent au mépris de la loi et du principe de laïcité garanti par la Constitution sénégalaise.» Et donc pour lui, en s’attaquant à Mia Guissé, c’est à nouveau l’idée même de liberté artistique qui est mise en procès. Dans ses chansons, l’artiste explore des thèmes universels, amour, désir, espoirs brisés, des réalités humaines qui traversent la musique depuis des siècles.
«Vouloir aseptiser son œuvre au nom d’une morale imposée revient à nier la fonction même de l’art, miroir critique et expression vivante de la société. Le recours systématique à la justice pour museler les voix discordantes soulève de nombreuses interrogations. Nombre d’observateurs dénoncent une instrumentalisation du discours religieux pour asseoir une influence sociale. En s’attaquant aux artistes, Jamra semble viser plus qu’une prétendue protection des mœurs, il s’agit de façonner l’espace public selon ses propres dogmes. Pourtant, dans un État de droit, nul n’a le pouvoir d’imposer une lecture unique de la moralité», soutient toujours Djibril Guissé repris par L'OBS.
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Mieux, il affirme que la liberté d’expression, y compris sous sa forme artistique, est protégée et la création culturelle ne saurait être soumise à des pressions religieuses ou idéologiques. «L’art n’a pas vocation à plaire à tout le monde», rappelle-t-il. «Essayer de le contrôler, c’est appauvrir le débat public, c’est empêcher la société de penser, de rêver, de se remettre en question.»
Face à la plainte, Mia Guissé, fidèle à une authenticité qui fait sa force, n’a pas fléchi. Entourée de ses fans et soutenue par de nombreuses voix du monde artistique, «elle incarne cette nouvelle génération d’artistes sénégalais, conscients de leurs droits et résolus à ne pas se laisser enfermer dans certains carcans. Elle semble plus que jamais déterminée à poursuivre sa carrière sans se plier à ses injonctions. La convocation de la chanteuse par la Division spéciale de cyber-sécurité, initialement prévue ce lundi, a été reportée à aujourd’hui mardi 29 avril, à la demande de son avocat. L’issue de cette affaire pourrait avoir des répercussions significatives sur la scène artistique sénégalaise.
«Si procès il devait y avoir, ce serait aussi celui de la liberté contre l’intolérance, de la diversité culturelle contre la pensée unique», renchérit Djibril. Ainsi, dans cette bataille symbolique, Mia Guissé ne sera pas seulement une chanteuse, elle sera, malgré elle, une figure de la résistance pour la liberté d’expression au Sénégal.