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De la République à la barre : trois ex-ministres appelés à répondre devant la justice

Le 8 mai 2025, l’Assemblée nationale du Sénégal a adopté la mise en accusation de cinq anciens ministres, dont Ndeye Saly Diop, Mansour Faye et Moustapha Diop, devant la Haute Cour de Justice. Cette décision fait suite à des accusations graves liées à la gestion du Fonds Force Covid-19.

Le 8 mai 2025, l’Assemblée nationale du Sénégal a adopté, à une large majorité, une résolution visant la mise en accusation de cinq anciens ministres devant la Haute Cour de Justice. Parmi eux figurent Ndeye Saly Diop, ancienne ministre de la Femme, de la Famille, du Genre et de la Protection des Enfants, Mansour Faye, ancien ministre du Développement communautaire, de l’Équité sociale et territoriale, et Moustapha Diop, ancien ministre du Développement industriel et des Petites et Moyennes Industries . Les accusations portées contre ces personnalités sont principalement liées à la gestion du Fonds Force Covid-19, institué pour lutter contre les effets de la pandémie. Selon les conclusions d’enquêtes menées par la Cour des Comptes et la Division des Investigations Criminelles, des irrégularités graves ont été constatées dans l’utilisation de ces fonds.

  • Ndeye Saly Diop : Elle est accusée de détournement de deniers publics à hauteur de 52 223 300 F CFA. Les investigations ont révélé l’utilisation de documents en double emploi, des bénéficiaires fictifs et des versements de primes à des agents sans base légale. Certains bénéficiaires désignés ont nié toute implication ou signature de documents financiers produits à leur nom .

  • Moustapha Diop : Il est poursuivi pour une somme de 2,5 milliards de F CFA, correspondant à des dépenses effectuées en liquide pour l’acquisition de masques. Ces fonds ont été transférés du compte de dépôt du Trésor public vers un compte ouvert à la Bank of Africa, géré par lui, en violation des règles de gestion des fonds publics .

  • Mansour Faye : Bien que les détails spécifiques de ses accusations ne soient pas entièrement divulgués, il est également cité dans le cadre de la gestion du Fonds Force Covid-19 .

La procédure judiciaire prévoit que, suite à l’adoption de la résolution par l’Assemblée nationale, le procureur général dispose de 24 heures pour saisir le président de la Haute Cour de Justice et celui de la Commission d’instruction. Chaque mis en cause pourra alors choisir un avocat, et la Commission pourra initier des actes d’enquête, tels que des mandats et des auditions, soumis à validation en réunion plénière .

Cette mise en accusation marque un tournant dans la lutte contre l’impunité des élites politiques au Sénégal. Elle témoigne d'une volonté accrue de transparence et de responsabilité dans la gestion des fonds publics, notamment ceux alloués en période de crise sanitaire.

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La procédure devant la Haute Cour de justice

La Haute Cour de justice est la seule juridiction habilitée à juger les membres du gouvernement pour des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions. Cette compétence est définie par la loi organique n°2002-10, modifiée par les lois de 2008 et 2012. Une fois la mise en accusation adoptée par l’Assemblée nationale, le dossier est transmis au procureur général près la Cour d’appel de Dakar. Ce dernier dispose de 24 heures pour saisir le président de la Haute Cour de justice et celui de la Commission d’instruction. La Commission d’instruction, composée de magistrats professionnels, est chargée de mener l’enquête à charge et à décharge. Les mis en cause peuvent être convoqués pour des auditions, et des mandats de comparution peuvent être émis si nécessaire.

La Commission d’instruction peut également ordonner des mesures conservatoires, telles que la saisie de biens ou le gel de comptes bancaires, pour préserver les intérêts de la justice. Une fois l’instruction terminée, la Commission d’instruction rédige un rapport détaillant les faits reprochés et les éléments de preuve recueillis. Ce rapport est soumis à la Haute Cour de justice, qui décide de la suite à donner à l’affaire, y compris la tenue d’un procès public si les charges sont retenues.

Les enjeux politiques et juridiques

Cette procédure marque un tournant dans la lutte contre l’impunité des élites politiques au Sénégal. Elle témoigne d'une volonté accrue de transparence et de responsabilité dans la gestion des fonds publics, notamment ceux alloués en période de crise sanitaire. Cependant, certains observateurs soulignent les défis juridiques et politiques associés à une telle démarche.

La loi d’amnistie de mars 2024, qui a exonéré de nombreuses personnes emprisonnées pour des infractions liées aux violences politiques, pourrait compliquer la situation si elle est abrogée. L’abrogation de cette loi pourrait rouvrir des poursuites contre ceux actuellement en liberté, créant ainsi un imbroglio juridique inextricable. De plus, la non-rétroactivité des lois pénales pourrait entrer en conflit avec l’abrogation de la loi d’amnistie, soulevant des questions sur la légalité de telles actions .

La convocation de Ndeye Saly Diop, Mansour Faye et Moustapha Diop devant la Haute Cour de Justice marque un tournant décisif dans l’histoire politique et judiciaire du Sénégal. Pour la première fois, d’anciens ministres devront répondre devant une juridiction d’exception pour leur gestion de fonds publics en période de crise. Si cette procédure judiciaire aboutit à un procès équitable et rigoureux, elle pourrait renforcer la crédibilité des institutions et envoyer un signal fort : nul n’est au-dessus de la loi.

Mais au-delà du volet judiciaire, c’est aussi la transparence de l’administration publique qui est en jeu, ainsi que la confiance des citoyens dans ceux qui les gouvernent. Le Sénégal, souvent cité en exemple pour sa stabilité démocratique, joue ici une carte majeure dans la lutte contre la corruption et la redevabilité des dirigeants.

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