Dès son l’enfance, Sokhna Binta brûle d’une flamme obstinée. Une volonté farouche l’habite : voir Serigne Touba de ses propres yeux. Elle presse sa mère, la supplie, l’implore de la conduire auprès du saint-homme. La mère, conquise par cette détermination inébranlable, cède. C’est ainsi que débute le parcours d’une femme dont la vie demeure profondément liée à celle de Cheikh Ahmadou Bamba. Mais au-delà de cette dimension spirituelle, cette rencontre trace aussi l’histoire d’une mère exemplaire, d’une épouse fidèle et dévouée, dont toute l’existence s’est vouée au Mouridisme.
«Le Adiya de 5 francs donné à Serigne Touba »
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Née en 1904, dans le village de Mbacol, près de Tivaouane, Sokhna Bintou est issue d’une famille profondément enracinée dans l’Islam, et plus particulièrement dans la voie de la Tijania. Son père, Ma Khoudia Fa Fall Diakhaté, et sa mère, Sokhna Khary Coumbeu Diakhaté, lui transmettent, dès son plus jeune âge, une éducation religieuse rigoureuse, fondée sur la maîtrise du Coran, la piété et la rigueur morale. Depuis toute petite, Sokhna Bintou manifeste une soif d’apprendre, une volonté constante d’exceller dans les disciplines religieuses. Conscient de l’engagement de sa fille, son père la prend rapidement sous son aile. «C’est lui qui lui inculque tout le savoir islamique», explique le surveillant général du complexe Mame DiarraAbdoulaye Diakhoumpa repris par L'OBS.
Sokhna Bintou s’oriente irrésistiblement vers Cheikh Ahmadou Bamba. Enfant encore, elle manifeste cette volonté farouche de rencontrer Serigne Touba. Elle insiste auprès de sa mère pour être amenée auprès du saint-homme. Celle-ci finit par céder. «A cette occasion mémorable, elle offre à Serigne Touba une modeste somme de cinq francs en guise de "Adiya". Un geste simple, mais chargé de sens, révélateur de son amour sincère et précoce pour le fondateur du Mouridisme», relate Diakhoumpa.
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Très vite, Sokhna Binta se distingue par son charisme, sa force de caractère et surtout par sa spiritualité exceptionnelle. Elle affirme haut et fort que personne ne doit aimer Serigne Touba plus qu’elle. Cet amour inconditionnel devient l’un des traits dominants de sa vie. «Elle disait que servir Serigne Touba surpassait toutes les aspirations terrestres», confie le surveillant général. Sokhna Binta fait preuve d’une force remarquable. Dans un monde où les rôles entre hommes et femmes sont rigides, elle brise les normes avec dignité. Son père, conscient de ses capacités, lui confie souvent les tâches agricoles les plus dures. Non seulement, elle les accomplit sans rechigner, mais elle termine avant tous les autres, suscitant admiration et étonnement. «Elle avait la plus grande part, et pourtant, elle finissait avant tout le monde. C’était impressionnant», témoigne Diakhoumpa.
«Une épouse au service d’un saint-homme»
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Dans sa relation avec son époux, Serigne Bassirou Mbacké, Sokhna Binta révèle l’un des aspects les plus nobles et inspirants de sa personnalité. Elle n’est pas simplement l’épouse d’un guide religieux. Elle devient une épouse dans la spiritualité, une «servante» dévouée de la voie, une source de lumière et de soutien constant. Leur lien dépasse l’entendement : il est sacré, tissé de respect profond, de confiance mutuelle et d’un amour sincère pour Serigne Touba. «Elle vénérait son mari non seulement en tant qu’époux, mais comme dépositaire de la lumière de Cheikh Ahmadou Bamba, prolongement vivant de l’héritage spirituel mouride», confie Diakhoumpa.
Une anecdote illustre cette relation exceptionnelle. Chaque fois que Serigne Bassirou quittait la maison en voiture, Sokhna Binta se rendait discrètement à l’endroit où les pneus ont roulé. Elle recueillait un peu de sable qu’elle conservait précieusement. Ce sable porte pour elle la trace spirituelle de son époux. Elle le mélangeait à de l’eau et offrait cette potion bénie aux malades. «Serigne Bassirou est tout pour moi», disait-elle. Dans le village de Boustane où elle résidait, une légende scelle sa réputation de femme bénie : après une grande récolte de mil, alors que les nuages s’amoncellent, menaçant de tout détruire, elle élève les mains au ciel et supplie Allah d’épargner le village. Tous les villages voisins sont arrosés, sauf Boustane. Ce jour-là, tous reconnaissaient la force de sa baraka et sa proximité avec le Divin.
«Mère spirituelle et éducatrice»
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Au-delà de son rôle d’épouse exemplaire, Sokhna Binta, mère de Serigne Moustapha Bassirou Mbacké et Serigne Mountakha Mbacké, l’actuel Khalife général des Mourides, était aussi une maman remarquable. «Il y a aussi Sokhna Faty Kiné Mbacké, Serigne Issakha Mbacké, et deux autres enfants qui ont perdu la vie», précise Diakhoumpa. Pour dire que tous ses enfants étaient des érudits qu’elle éduquait à l’image de leur papa. À chacun, elle transmet la droiture, l’amour du Coran, l’attachement à Serigne Touba et l’humilité dans le service. Son foyer est un espace d’éducation, de transmission des valeurs islamiques, de discipline et de tendresse.
Elle élève ses enfants dans la lumière du Coran et des enseignements mourides, sans jamais faire de compromis sur les principes. «Sokhna Binta n’a jamais cherché les projecteurs, mais la lumière qu’elle portait traverse les générations. Elle entretenait d’excellents rapports avec les fils et filles de Serigne Touba», conclut Abdoulaye Diakhoumpa. Mère dévouée, talibé d’exception, épouse de lumière, elle quitte ce bas monde à l’âge de 70 ans et repose à Touba.