Encore des morts sur nos consciences

L’horreur s’est produite sur la route de Kaffrine. Au moins 40 morts, des blessés graves et des vies complétement bouleversées à cause des séquelles ténues et têtues. Un drame qui ne surprend pas.

Un violent accident a occasionné la mort d'au moins 39 personnes, dans la nuit du samedi 7 au dimanche 8 janvier 2023, à Kaffrine (centre-ouest du Sénégal).

Le 7 août 2012, un accident aussi grave a eu lieu dans la même localité, avec la même gravité : 24 morts. Douze ans après donc, le mal reste entier. Tout ce qui a concouru à ces catastrophes est là, toujours là. Des moyens de transport désuets, des routes étroites, des chauffeurs peu conscients, un contrôle approximatif, de la corruption partout, des usagers insouciants. De terribles légèretés qui nous suivent comme une ombre. Des morts par négligence.

2023 suit la logique dramatique de 2022, entamée depuis belle lurette au Sénégal. Ce pays est en réalité une somme de négligences, de désinvolture, de manque de sérieux notoire. Onze nouveau-nés ont été tués dans une maternité à Tivaouane. On a vite enterré ces bouts de bois de Dieu, comme on enterre nos soucis dans des querelles pas du tout grandes ni susceptibles d’aboutir à quelque chose de sérieux. Tous les jours, nous assistons à des cruautés. La mort devient banale. La vie est banalisée ici.

En 2013, 9 talibés ont péri dans un incendie à la Médina. Tout le monde sait que ce quartier populeux, à l’instar d’autres localités de Dakar, est le lieu de rencontres de la misère, de la promiscuité, de la pagaille et de toutes les grandes peines du monde. Un concentré de malheurs, cocktail explosif, qui ne pouvait qu’enfanter des douleurs atroces. Ce qui devait arriver, arriva.

Ce qui s’est passé dimanche est alarmant, certes, mais ce n’est pas de l’inédit. 1863 personnes sont passées de vie à trépas lors du naufrage du bateau Le Joola en 2002. Traumatisés et surpris par cette hécatombe, les Sénégalais avaient pris résolument la décision d’être disciplinés et surtout de revoir l’option simpliste de la fatalité. Mais, des mois après, le retour aux mauvaises vieilles attitudes a été brutale.

On avait essayé de chasser le naturel, il est revenu au galop. Vingt ans après la tragédie du Joola, de multiples drames sont visibles partout. Sur nos rues cahoteuses, dans nos villes et villages, pas un jour sans qu’on nous annonce des morts qui pouvaient être évitées. Sept personnes mortes lors de l’effondrement d’un mur en pleine nuit ici, des dizaines de morts à Bittenty dans un naufrage d’une pirogue de fortune chargée de transporter des villageois « sans choix », obligés de défier la mort. Un terrible incendie au Daaka en 2017. 23 morts. Douleurs intenses. Beaucoup de peines.

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On peut encore citer des tragédies qui ne sauraient être la volonté de ce Dieu qu’on accuse, qu’on charge, oubliant nos propres turpitudes. Sur le coup, on a peur, on est en colère, on essaie de se réajuster. Mais hélas, chez nous, l'indignation souvent collective et bruyante ne dure que le temps d'une rose.

On tourne vite la page pour s'adonner aux mêmes pratiques qui sont à l'origine de nos malheurs. Il y a tellement de drames qui se ressemblent. Au pays des "war gaynde" (enfourcher le lion), des tricycles, des clandos, des jakartas, des charettes sur les autoroutes, s'en fout la mort. Le goût du risque ! Quelques jours de deuil, des mesurettes, du fuurël. Puis, plus rien. En attendant d’autres drames.

Le président Macky Sall qui veut encore prendre des mesures à l’issue d’un conseil interministériel, tient là une occasion pour rectifier le tir après plus d’une dizaine d’années de tergiversations, de frilosité et d’approximations devant un phénomène grave qui nécessite de la rigueur, du courage et du sérieux. Que d’années d’irresponsabilité, de fuites de responsabilités. Des morts sans responsables. La banalisation. La lassitude. Et des « Joola » en miniature tous les jours… Aucune leçon retenue. Des journées de deuil. Des bavardages. Nous prions pour le repos des ces 40 âmes.

Toutefois, il nous faut plus que des prières pour venir à bout des fléaux provoqués. L'hommage à nos morts ne doit pas être que théorique. Hélas…

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