C’est le cas de Moussa Soumboudou, plus connu sous le nom de ‘’Kankamussa l’activiste’’. Il est l’un des chauffeurs des deux bus. En quittant Fass Delorme samedi, à 14 heures, pour transporter ses passagers à Vélingara, Moussa Soumboudou ignorait qu’il effectuait son dernier voyage. L'OBS raconte ses derniers instants.
Selon un bilan provisoire de la Brigade nationale des sapeurs-pompiers, la collision frontale a fait « 39 morts, 36 blessés graves et 49 blessés légers ». Certains venaient de Kédougou. D’autres ont pris départ à Dakar.
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Comme à son habitude, avant-hier encore, il a informé les voyageurs de l’heure de départ et de l’itinéraire. « Assalamu alaykum, Assalamu alaykum. C’est Kankamussa. Le départ, c’est aujourd’hui, à Fass Delorme, à 14 heures. A tous ceux qui veulent se rendre dans le Fouladou et qui sont sur la nationale, ce n’est pas la peine de vous déplacer jusqu’ici. Appelez juste sur ce numéro que je vais laisser en commentaire », renseignait-il à travers une vidéo publiée sur sa page Facebook dans la matinée.
Une image accompagnée d’un petit commentaire donnant les points de ramassage. « SEN FULADU BUS. Itinéraire : Marché Fass Delorme, Université Cheikh Anta Diop, Mermoz-Ouakam-Sacré cœur, Sicap Liberté, Nord foire-Ouest foire, Stade amitié-Rond-point Yoff, Hôpital Nabil Choucair/Patte d'Oie, Poste Thiaroye-Sicap Mbao, Fass Mbao-Keur Mbaye Fall, Rufisque-BargnyDiamniadio. »
Au marché de Fass Delorme, l’atmosphère est empreinte de tristesse. Il fait gris et pleuviote sur les trois voyageurs qui font le poireau, sur le chariot de café, sur les tables de fruits peu achalandées, sur les billets de banque du billeteur. La fine pluie ne fait bouger Doudou Badiane d’un iota. Assis sur une chaise posée à l’angle d’un immeuble, une théière entre les deux jambes, il prépare la mousse en transvasant une quantité de thé d’un verre à un autre. Il poursuit l’exercice, entre deux appels téléphoniques.
«Allo, Oui, tu es en train de le suivre à la télévision ? Quoi ? Tu as reconnu quelqu’un d’autre parmi les victimes ?», interroge-t-il, d’un trait. Doudou Badiane alias Johnson est billeteur. Au bout du fil, une de ses voisines de commerce, qui suit à la minute près les derniers développements de ce drame et ne manque pas de l’informer au besoin. Plus aucune nouvelle ne sera de trop pour Doudou. Le bilan est déjà bien trop lourd pour lui. Lui qui n’aura plus l’occasion de revoir ‘’Kankamussa’’, le chauffeur du bus avec qui il avait tissé d’excellentes relations humaines durant les trois années qu’ils se sont côtoyés.
«Il m’a offert un billet de 500 FCFA avant son départ»
Le choc fut terrible quand il a appris, à la radio, l’accident qui a emporté son ami. Leurs derniers moments restent, intacts, dans sa mémoire. » «Hier (avant-hier, Ndlr) on a échangé brièvement. C’était vers 14 heures. Je revenais de la prière quand on s’est croisé près de son bus. Il s’apprêtait à partir. Il a glissé sa main dans sa poche et en a sorti un billet de 500 FCFA qu’il m’a tendu en me disant : ’’Les affaires ne marchent pas bien ces jours-ci. Tu vois que c’est la croix et la bannière pour avoir des clients’’», confie le quinqua.
« Après cela, je l’ai vu monter dans le bus à bord duquel ses trois apprentis et pas plus de deux clients. Sur le porte-bagages, il y avait une quarantaine de caisses de canettes de boisson. C’est un des apprentis qui était au volant, sous sa supervision, lorsque le bus prenait départ pour s’ébranler vers le canal », ajoute Johnson qui peut en dire bien plus sur la victime qui faisait beaucoup de vidéos de sensibilisation sur la sécurité routière. Il incitait également sa communauté virtuelle à donner du sang pour sauver d’éventuels blessés de la route.
«C’était un homme respectueux. Une personne qui aimait son travail et donnait toujours de bons conseils à ses apprentis. Il a commencé à faire le transport de passagers il y a cinq ou six mois. Avant, il faisait le transport de bagages. Il conduisait un camion taxi-bagages entre Dakar et Ziguinchor. C’est quand ce camion est tombé en panne qu’il a commencé le transport de personnes. Il prenait départ tous les mardi et samedi à 14 heures.»
Amy Niang, commerçante de fruits, n’a pas eu l’occasion de faire ses adieux au défunt. Pourtant, il lui avait promis de passer à son commerce avant de partir. Ce qu’il n’a pas eu le temps d’honorer. «Il m’a fait un signe de la main pour me dire qu’il fera un crochet devant mon étal», c’est le dernier souvenir que garde cette commerçante. La tête cachée par une perruque bonde bouclée, un pantalon noir et une chemise beige couvrant sa peau noire, Amy Niang lui témoigne humilité et gentillesse.
Argument partagé par Martine Ndour, également marchande de primeurs. « Quand il est revenu de la Casamance le vendredi soir, il est venu me saluer. Ce qu’il fait toujours. Je l’ai charrié en l’appelant ‘’boy Fouta, l’activiste’’. Il a souri et m’a demandé si le commerce était florissant. Aujourd’hui, on m’annonce qu’il est parti. C’est douloureux », lance la dame à l’écorce noire et à la perruque rousse.
Kankamussa et une quarantaine d’autres personnes ne sont plus. Paix à leurs âmes !