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Meurtres violentes en série : pourquoi le Sénégalais est devenu sanguinaire

Depuis un certain temps, les meurtres s'enchainent et une série de découvertes macabres rythme l’actualité. Les criminologues savent pourquoi.
Crime de sang
Crime de sang

En 4 mois en début d'année 2023, plusieurs cas de meurtres documentés ont été recensés. Il y eut d’abord en janvier, le cambriolage sur la Petite Côte chez une Franco-sénégalaise ligotée, violentée et tuée en pleine journée.

En février, dans le quartier de Ndayane à Diourbel, un jeune talibé de 13 ans est retrouvé pendu, la thèse du suicide est automatiquement écartée par les enquêteurs.

Au mois de mars, une jeune fille de 16 ans est accusée d’avoir mortellement poignardé à Kaolack l’amant de sa sœur.

Et alors que s’achève le mois d’avril, trois cas de morte violente sont dénombrés : la femme tuée par son mari à coups de couteau, le maître coranique poignardée à mort dans son sommeil par son talibé âgé seulement de 11 ans et la découverte du corps calciné d’une jeune femme Awa Bâ retrouvée morte calcinée en plein forêt dans le département de Tivaouane.

En plus de la manière violente utilisée, ces crimes sont souvent commis par de jeunes personnes qui ont fait de la cruauté leur mode d’expression. Pour les experts criminologues interrogés par L'Observateur, ces criminels sont, dans la plupart des cas, le résultat de la dislocation sociale.

« Il y a un regain de violence manifeste depuis quelques mois au Sénégal. Les gens deviennent de plus en plus violents. Il apparaît souvent des cas de mort d’homme provoqués par des actes violents commis directement par des personnes qui leur sont proches », dit d’emblée le commissaire à la retraite Cheikhouna Kéita qui a longtemps travaillé sur des crimes de sang.

Pour ce dernier, ces assassinats documentés sont différents de la délinquance violente où l’auteur n’est intéressé que par l’optique d’accaparer le bien de la victime. Ici, c’est d’abord la manière cruelle et violente qui saute aux yeux et qui préjuge, selon l’ancien commissaire, d’un dérèglement social.

« D’abord, nous assistons à une dislocation du tissu social, un dérèglement dans nos environnements qui font que la nature des relations est aujourd’hui altérée. Les mécanismes qui amortissaient certains chocs chez l’individu ou dans les groupes, n’existent plus. La majeure partie des jeunes n’ont pas subi le processus de socialisation qui les prépare à ne pas être dans des comportements de violence. La non-violence est dans la nature de l’individu mais agir pour ne pas tomber dans le piège de la violence est une sorte d’éducation, de formation, un parcours qui inculque des valeurs qui sont telles qu’on s’abstient d’agir même quand la violence devient le dernier recours. Cette capacité de retenue est perdue par une bonne partie de la population qui charrie en elle une violence muette », analyse l’ancien commissaire.

Cette barrière sociale essentielle franchie, il existe encore trois facteurs d’aggravation qui conduisent l’individu au crime. C’est la thèse du docteur Babacar Diop, socio-anthropologue, psychologue et observateur des sociétés africaines en général et sénégalaises en particulier.

« Il y a premièrement la pauvreté qui pousse souvent les individus à prendre des risques. Une prise de risque qui conduit inexorablement à flirter avec les repères socio-culturel, spirituel et religieux. Enfin, cette absence de repères conduit souvent à des crimes, surtout ceux rituels de plus en plus fréquents. Les pauvres sont victimes de certains marchands d’illusions qui les convainquent de s’adonner à ces crimes-là. Cet aspect doit être mis en compte dans les séries de meurtre qui foisonnent au Sénégal depuis un certain temps », dit-il, en insistant sur les voies et moyens d’amoindrir ces effets de la violence.

Pour Ndiogou Fall alias Colombo, inspecteur de police à la retraite, spécialisé dans les enquêtes criminelles, le laisser-aller est tout autant que la dislocation sociale, cause d’accroissement de la violence. « Les auteurs de ces crimes doivent être punis à des peines exemplaires, mais ce n’est pas souvent le cas, ils bénéficient généralement d’une réduction de peine. Les condamner à de très lourdes peines va dissuader ceux qui seraient tentés de tuer indûment », pense-t-il.

D’un point de vue plus général, la dislocation du lien social, source de cruauté, peut aussi n’être qu’une des conséquences de la fracture familiale. Le microcosme familial peut souvent engendrer les premières déviances. C’est ce que le major Alioune Badara Kandji, ancien enquêteur à la Section de recherches de Dakar, appelle le facteur endogène.

« Le lien familial n’est plus solide au Sénégal. Le grand frère n’a plus une autorité sur son petit frère. Les parents ne peuvent plus maîtriser ni arbitrer les différends opposant leurs enfants. Finalement, un sentiment de jalousie pourrait les diviser. Cela nous renvoie à un facteur criminogène endogène. Au sein des familles, c’est plus dangereux car les différentes parties qui se côtoient tous les jours peuvent s’entretuer ». Dans le pire des cas, ces facteurs donnent ce qu’on appelle à tort les crimes passionnels

Jalousie et infidélité : deux facteurs criminogènes

L’auteur ne donne pas seulement la mort, mais cherche jusqu’au bout à annihiler le corps de la victime. Les révélations suite à la découverte du corps calciné à Tivaouane montrent que la victime, une femme originaire de Diogo, avait été tuée avant que son corps ne subisse la violence de l’incendie. L’inspecteur Ndiogou Fall avoue n’avoir jamais hésité à orienter ses recherches vers l’environnement familial, lorsqu’il s’était agi de ce type de crime. « J’ai eu à élucider plusieurs dossiers similaires. D’ailleurs, quand je recevais un dossier de crime passionnel, j’orientais mes pistes vers les conquêtes de la défunte. Dieu sait que cette stratégie a toujours été payante », révèle-t-il.

Pour les experts du métier, le mobile dans ce type n’est pas à chercher plus loin que la vengeance, un facteur endogène. Il suffit dans ces cas que l’auteur ait le sentiment d’avoir été trahi pour commettre l’irréparable.

Mor Kandji : « Nous avons constaté que beaucoup de filles sont victimes de violence émanant des hommes. Généralement, elles sont tuées avec barbarie. Ce sont des crimes passionnels causés par la jalousie. Les exemples foisonnent et le dernier en date est le meurtre d’une étudiante de l’Université Gaston Berger à Saint-Louis ».

Les facteurs criminogènes peuvent être à la fois endogènes et exogènes avec les influences extérieures parmi lesquelles la télévision, les changements de comportement des personnes, les dualités, la jalousie, l’infidélité. Ces deux derniers sentiments mis l’un à côté de l’autre font des ravages.

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