De la nécessité d'opérer une réforme de la grâce présidentielle [Opinion]

Ce n'est que tout récemment que la question a été remise au goût du jour, mais le débat a toujours existé et a connu de nombreux rebondissements. Tantôt jugée arbitraire et dangereuse, tantôt décriée comme instrument politique, la grâce présidentielle doit nécessairement connaître une réforme et a besoin d'être encadrée. Le juriste-formateur Malick SAMB relève plusieurs insuffisances relatives à sa mise en œuvre, nous publions in-extenso sa contribution.

Dr-Malick-Samb pr-de-droit

"La grâce est une prérogative reconnue au Président de la République par la Constitution en son article 47. Il s’agit d’une mesure par laquelle il accorde sa clémence à une personne condamnée par une juridiction de jugement afin de lui permettre de recouvrer sa liberté.

Ce pouvoir qui confère au Président de la République l’opportunité d’humaniser la répression constitue également un moyen pour lutter contre le surpeuplement carcéral. C’est ainsi que la grâce peut bénéficier à toute personne (Sénégalais ou étranger), délinquant primaire ou récidiviste.

Elle obéit tout de même à des conditions de fond et de forme.

A propos des conditions de fond, il convient de retenir que la grâce ne peut profiter qu’à la personne dont la condamnation est définitive. Elle peut s’appliquer à toutes les peines prononcées par les juridictions pénales, qu’elles soient politiques ou de droit commun.

Pour ce qui est des conditions de forme, le condamné doit faire une demande adressée au Président de la République. Le dossier est étudié par le parquet qui le transmet pour instruction à la Direction des affaires criminelles et des grâces (ministère de la justice).

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A l’analyse si les conditions sont toutes réunies, la grâce est accordée à travers un décret présidentiel.

Loin de moi, l’idée de demander la suppression de cette mesure de notre politique pénale, je tiens tout de même à dire que des réformes s’imposent eu égard aux insuffisances notées dans sa mise en œuvre.

Pour vous convaincre de l’impérieuse nécessité de celles-ci, je rappelle deux faits liés à la grâce et qui ont défrayé la chronique.

Il s’agit d’abord de l’affaire de ce trafiquant de faux médicaments du nom d’Amadou Woury DIALLO. Condamné par le tribunal de grande instance de Diourbel à cinq (5) ans de prison ferme en 2019, il a pu bénéficier illégalement d’un élargissement la même année. En rappelant que seules les peines définitives sont éligibles à la grâce, j’affirme que le sieur DIALLO ne devait pas être gracié, car sa peine n’était pas encore définitive.

Ensuite, je pense à l’affaire de cette étudiante Congolaise du nom de Lotaly MOLLET sauvagement tuée à HLM Grand-Yoff dans la nuit du mercredi 19 Mai 2021. Le présumé meurtrier au passé pénal assez lourd serait récemment gracié à l’occasion de la fête de Korité. Présenté comme un grand « caïd », il ne devait pas bénéficier du pardon présidentiel pour commettre ce crime odieux qui sape la « Téranga Sénégalaise ».

Au nom de l’égalité des citoyens devant la justice, la mesure doit être appliquée avec plus de rigueur objective pour éviter qu’elle profite à ceux qui ne la méritent pas, comme en attestent les deux exemples cités plus haut.

La condamnation pénale étant prononcée au nom de la nation, la logique républicaine commande, à mon sens, que cette prérogative soit reconnue aux représentants du peuple à savoir les députés comme l’est l’amnistie.

Dans un autre registre, je pense que le régime juridique de la grâce mérite d’être révisé dans le sens de ne plus offrir au chef de l’Etat l’occasion de la prendre comme une arme politique destinée à faire chantage à des opposants ou pour s’attirer des retombées politiques. Étant établi que la décision n’a pas besoin d’être motivée et n’est pas susceptible de recours, elle peut aboutir à des dérives qui mettent en jeu l’ordre public."

Malick SAMB est un Juriste-Formateur sénégalais, capitalisant plus de 10 ans d'expérience d'enseignement dans les universités sénégalaises. Il est également séminariste et conférencier de droit.

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